Le renard, le lièvre et le curé
Posted on 22 février 2013 in En sourire
Si je devais parler aujourd’hui aujourd’hui de monsieur le curé M, je dirais que c’était un homme comme un autre qui, une fois ôtée sa soutane à la sortie du village, devenait l’un des chasseurs les plus assidus de la commune.
Il avait, si ma mémoire est bonne, la particularité de chasser avec des Teckels et se livrait à sa passion avec un plaisir qui ne pouvait laisser indifférent le meilleur ou le pire des chasseurs.
On dit commodément que dix chasseurs et dix pêcheurs font bien vingt menteurs, mais quel bon chrétien osera dire aujourd’hui que le bon curé M racontait des salades….
Il n’est pas loin de six heures d’un petit matin d’octobre blanchi par une fine couche de barbaraste. Il fait froid et ça serre les doigts, mais il en faut plus pour décourager l’abbé M qui est tranquillement assis sur le rebord d’un talus, au pied du bois. Une matinée tranquille qui s’annonce avec son lot de bonnes surprises, d’émotions ou de frustrations, ce sont les hasards de la chasse.
Mais l’abbé M ne veut pas penser au temps d’après. il est là, ici et maintenant, posté en haut du chemin, adossé au talus, et il attend. Le poste est fameux, et au lever du jour, tout peut y passer. Les écureuils s’en reviennent bruyamment de leur cueillette et s’en retournent dans le bois avec leurs provisions de noix.
Le coin est bon aussi pour les lièvres, et le pigeons ramiers viennent se gorger de faines et de glands dans le bois de derrière et un sanglier dérangé empruntera le chemin à coup sur. Pas de chien, pas de bruit : le bon père est à l’espère…
Il faut avoir chassé pour comprendre ce qui se passe au moment précis du basculement de la nuit vers le jour. C’est l’heure bleue pour certains, l’heure du loup pour les autres. L’heure où les ténèbres reculent pour les uns, et l’heure ou les hommes rendent leur dernier souffle pour les autres…
Le curé le sait bien, lui qui côtoie la mort par métier et par vocation, il a tellement entendu des gens en larmes lui dire “on l’a veillé(e) toute la nuit, et il(elle) est parti(e) à la pointe du jour” .
Mais pour l’heure personne ne meurt, il ne fait plus tout à fait nuit et il ne fait pas encore tout à fait jour. On sent qu’il va se passer quelque chose , on sent que la nature va se taire pour un temps, que quelque chose va se diviser, s’arrêter et commencer…C’est le crépuscule de l’aube, le moment de magie pure qui ressemble un peu à la fin de la pluie, ou plus exactement à ses frontières parce que la pluie finit toujours deux fois, dans le temps et dans l’espace.
Les enfants n’oublient jamais l’endroit où à une goutte près il ne pleut plus alors qu’à quelques pas de là on se trempe comme des soupes, et les vieux ne comprennent toujours pas pourquoi c’est là et pas ailleurs que ça se passe, même s’il faut bien que les choses s’arrêtent quelque part, mais de là à aller chercher la pluie ou à passer à travers les gouttes…. “C’est ça se dit le bon curé, l’heure du loup, c’est un peu la fin de la pluie, on s’en rend pas toujours compte parce qu’on ne sait jamais tout à fait si la pluie s’arrête là ou si elle s’arrête maintenant, c’est peut-être pour ça que les hommes des pays riches ne peuvent pas comprendre que d’autres meurent de soif…Pour eux, la pluie est universelle, il pleut partout du moment que les gouttes tombent sur leur toit” .
C’est fou ce que la nuit fait du bruit, c’est un peu comme l’univers. La nature a horreur du vide, et encore plus du silence. Les chasseurs à l’espère le savent : la nuit est une cacophonie, un capharnaüm de bruits qui viennent de nulle part. Tout fait du bruit , les animaux, les toits des maisons qui dorment, les bois, les sources, les feuilles, les insectes, le givre, “et même le brouillard” se dit le curé qui entend son souffle se mêler au bazar du jour à venir.
Puis tout à coup tout bascule, tout s’arrête, se suspend pour un temps. La vie retient son souffle, le bras de fer est engagé. Soudain, un coup de froid, une petite bise et le jour est là. L’heure est passée comme un frisson inattendu, presque insensible… Le loup est retourné dans ses légendes, la vallée s’éclaire doucement, les cheminées s’allument, les hommes s’en vont traire, l’étable sent le chaud, les mamelles des vaches sont douces comme des caresses presque volées ; c’est déjà demain. “Ça durera jamais plus se dit le brave curé, ce temps est trop court pour le décrire, c’est le désespoir des conteurs” .
“Allez, une petite demie-heure et je m’en vais chercher le chien” se dit l’abbé qui commence à sentir ses jambes s’engourdir et sait bien que si quelque gibier monte, ce sera dans les minutes qui suivent ou alors bien plus tard, poussé par son vaillant Teckel…
Soudain, il tend l’oreille. Un glapissement aigu monte de la vallée. C’est distant, saccadé, mais ca se rapproche. Des petits coups de gueule « Ça c’est un renard qui pousse quelque lièvre» se dit le bon père en écarquillant les yeux, “et ça me monte tout droit” . Ça y est, la bas, une “levrasse” qui monte le long du chemin et qui croise dans le travers. Le curé la laisse un peu allonger et pan! le lièvre tourneboule et s’immobilise, foudroyé.
Le curé n’a pas le temps de savourer son coup de fusil qu’une forme lancée comme un boulet sort à son tour du chemin. Le renard n’a pas eu le temps de faire demi-tour. l’homme lève son fusil et Pan! Voila le renard qui à son tour mord la poussière. “Personne voudra me croire” se dit l’auteur de ce doublé invraisemblable, “et pourtant il devait pas être loin de l’attraper à lui coller au cul comme ça” .
Remis de son émotion, le bon curé M attache les pattes du lièvre avec une ficelle et le pend en bandoulière dans son dos, charge la dépouille du renard sur son épaule puis descend le chemin vers le pas de la Combe où il a laissé sa voiture au petit matin.
Il libère son Teckel, dépose les dépouilles des deux gibiers dans le coffre et s’en va ratisser le terrain an quête d’autres aventures.
Deux heures et un second lièvre plus tard, le bon père s’en revient à sa deux deuch, ouvre le coffre pour y déposer le second lièvre. C’est alors que d’un bond le renard s’extirpe du coffre et s’enfuit à toute allure. “La vache” s’emporte le prêtre, “il aurait pu me mordre” .
Il se retourne et n’en croit pas ses yeux : Le goupil a profité de son séjour dans le coffre de la voiture pour dévorer le lièvre dont il ne reste que l’arrière train, la tête et les oreilles. “Ça alors, ça alors…” murmure le curé, convaincu qu’il sera désormais encore plus difficile de raconter son mémorable doublé du matin.
Le temps est passé, le bon curé M s’en est retourné vers celui qu’il a toujours servi…
Depuis ce jour, les chasseurs du village ont tiré la leçon de l’aventure et se gardent bien de mêler dans un même lieu les dépouilles d’un lièvre et d’un renard, fussent-ils froids comme la mort.
La leçon du bon père a porté, et personne ne conteste que c’était bien sa mission première de curé de montrer à ses fidèles l’exemple qu’il ne fallait pas suivre.
Marc Phelps raconte cette histoire