L’indienne des salines

alti5viA quelques pas de la rivière sacrée, dans l’alchimie de la québrada salée, le temps semble figé sur les terrasses, emprisonné dans les croûtes de sel qui, séchées par le soleil et le vent, fondent dans la douleur l’or blanc du pays des Incas.

Dans cet enfer de sel et de soleil, les indiens ont autrefois apprivoisé l’eau tiède et salée qui jaillit de la pierre, l’ont patiemment canalisée vers les bassins sculptés par le sel endurci.

Ici, un bassin chasse l’autre, renvoie son rebut d’eau tiède vers d’autres bassins, envoie le sel s’évaporer ailleurs.

Ici l’eau vient de la terre, prend l’air et y retourne après avoir déposée sa précieuse charge de sel dans les bassins croûtés d’ocre et de blanc brûlant.

Ici, loin de partout, tout se ligue pour user le corps des femmes et des hommes qui travaillent. Le soleil brûle les yeux et fait baisser la tête, sa lumière se reflète  dans les saumures et les brûle à nouveau, il faut relever les yeux pour se défendre et tout recommence.

L’air sec et tranchant des hauts plateaux serre à la gorge, s’enfonce comme des sagaies dans les poumons des travailleuses.

Le sel est là partout, à donner à tout un goût de mal être…Un goût de saumure qui empâte la bouche jusqu’à enlever le goût de tout, à moins qu’il ne donne trop de goût à rien. Bref, un goût qui joue sur les goûts, qui enlève ou donne un je ne sais quoi qui fait perdre le reste.

Il suffit de regarder ce sel pour avoir soif, pour avoir chaud, pour sentir battre ses tempes, taper fort, avec la résonance de  la lumière qui fait s’amplifier la violence  des coups dans les oreilles.

Il suffit de sentir ce sel pour se sentir moins femme, mais ici on ne se retourne pas, on est femme dans les salines ou on est rien. le padre a bien parlé un jour  de cette histoire de la femme de Loth qui s’était retournée la bas dans le désert de Judée. Elle avait désobéi ; elle a été changée en statue de sel, quelle horreur, comme si…

L’indienne des salines ne veut pas y penser. Du sel… on dit que ça conserve, mais elle ça la ronge petit à petit…

alti12viElle est femme pour ce qui lui reste de femme, c’est à dire pour tout ces brûlures que le sel lui a laissé.

On lui a dit que la haut, dans les hôtels, des femmes prennent des bains dans des huiles aussi parfumées qu’un lever du jour sur le sentier qui mène à la montagne sacrée.

Des bains de peau, des bains de corps, des bains de pieds…

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