A la guerre comme à la vie.
Posted on 20 juillet 2015 in C'est la guerre
Cet article retrace quatre années de guerre vécues au travers du quotidien des habitants du village d’Auxillac. Il a été mis en scène en novembre 2014 par Mireille et Bernard Granjean et interprété par les comédiens de la compagnie “La Faute à Voltaire”
Les informations contenues dans les images retracent aussi fidèlement que possible le jour et le lieu où périrent les jeunes combattants mobilisés malgré eux dans cette guerre infâme.
Les musiques du spectacle du 10 novembre 2018 par Sébastien Potrich
A ceux qui sont morts aux combats, à celles qui ont du vivre sans eux…
De tous les départements de France, la Lozère est celui qui a payé le plus lourd tribut à cette guerre infâme. 6 239 jeunes hommes sont tombés, soit plus de 5 % de la population de 1911.
D’autres sont revenus usés, fatigués, meurtris dans leur chair, perdus dans un monde qui a du se construire quatre année durant sur le socle de leur absence.
Vingt jeunes auxillacois ont péri dans ce conflit. Trois d’entre eux reposent au cimeterre du village, sept autres sont ensevelis auprès de leurs camarades d’infortune dans des nécropoles militaires près des zones de combat. On ne sait rien du lieu d’inhumation des dix autres, si ce n’est la date -parfois supposée- de leur décès, tout simplement parce qu’ils manquaient à l’appel du soir de la bataille.
Ces quelques lignes sont là rappeler qu’il n’y a pas de grande guerre, seulement des grands hommes qui vont jusqu’au bout d’une consigne qui les dépasse. Ces hommes de la terre sont tombés aux cotés de soldats russes, canadiens, belges, anglais, américains, italiens, africains, serbes, polonais, allemands…tous mêlés dans le boisseau de cette machine à broyer les hommes, comme autant de grains de blé offerts à la violence de la meule.
Ceux qui en sont revenus ont porté la marque de la guerre, accrochée à eux comme un lierre qui étouffe un tronc de merisier.
A ces gueules cassées, ces mutilés, ces oubliés de la grande histoire ; j’aimerais dire : Peut-on oublier une blessure quand on en porte la marque pour toujours? Peut-on effacer les traces d’un tourbillon de feu et de sang qui ruine une jeunesse ? Peut-on oublier le cri d’un soldat qui bascule dans la tranchée adverse ?
Ne m’en veuillez pas pour ces questions, je les pose sans vous juger, bien au contraire, j’aimerais tant que vous trouviez la paix. Je vous demande ça juste parce que vos noms me sont devenus si familiers que j’ai l’impression que vous n’êtes pas tout à fait partis ; qu’il vous reste des choses à dire, et qu’il est temps de les entendre avant de tout oublier.
Un arbre qui se fend sous le poids de la neige au travers de Rochalte, un coup de fusil qui claque dans le froid au plat du Catelmas, le bémol assourdi d’un glas qui tinte dans le soir, le vent dans une avoine, le ruisseau en colère, le givre qui marche avec le vent, la neige qui étouffe les pas et assourdit les voix de ceux ne veulent plus rien dire parce qu’ils auraient trop à dire…
Tous ces moments de la vie n’ont plus été pour vous que des balises posées par le temps sur l’ombre tourmentée des souvenirs que le silence de la nuit rend encore plus insupportables.
Cette guerre, vous ne l’avez pas faite, vous ne l’avez pas voulue, vous l’avez subie et vous n’avez jamais pu l’oublier.
Nous ne vous oublions pas.
Guy Lévêque, Auxillac le 10 novembre 2014
L’homme est nu (Laurent Mourot-Farraut)
BONNEMAYRE Joseph Damien Marius, Mort pour la France
Mon cher Julien,
Ce matin, les gendarmes sont venus au village. On ne les avait pas vus depuis le trois août quand ils ont affiché l’ordre de mobilisation. Ils sont allés chercher l’adjoint car le maire est à son évêché de Rodez.
Pas besoin de sortir des grandes écoles pour comprendre que la guerre venait de nous enlever notre premier enfant. Enfin, quand je dis enfant, je me comprends, il n’avait que 24 ans, juste vingt ans de moins que moi.
Je crains, mon cher collègue que nous ayons à nous habituer à ces équipées funestes.
Ici, au village, les nouvelles n’arrivent pas vite. On dirait que les gens attendent on ne sait quoi. Le retour des soldats ; la fin de la guerre… Je crois qu’elle ne fait que commencer. Trop de haines se sont cristallisées ces derniers temps entre nos deux pays, et tous les efforts de Jaurès n’auront servi à rien.
Il va falloir faire face, les récoltes ne sont pas toutes à l’abri et les températures exceptionnellement basses de la fin juillet ont retardé les travaux. Il faudra pourtant terminer les moissons, rentrer les pommes de terre, les betteraves, s’occuper des animaux, ramasser les fruits.
Tout cela sans les bras robustes des hommes partis au front.
Les gens ne parlent pas beaucoup, si ce n’est pour avoir des nouvelles parce qu’ils savent que je reçois l’Humanité. Ils se méfient un peu de moi. Les plaies de la loi de 1905 ne sont pas encore fermées et nous, instituteurs laïcs, sommes considérés comme suppôts de Satan, à tel point que certains n’hésitent pas à nous attribuer une part de responsabilité de cette guerre.
Je te laisse imaginer l’effet démultiplicateur dans un village dirigé de longues années durant par un maire évêque…
Embrasse ton épouse et tes enfants J’attends de tes nouvelles et ne manquerai pas de te visiter lors de mon prochain voyage sur Rodez.
Ton dévoué Augustin.
BONNEMAYRE Félicien Sylvain , Mort pour la France
Ce matin, lors du premier office, monsieur le curé nous a annoncé la terrible nouvelle. Le 22 août dernier, le jeune Félicien est tombé au champ d’honneur quelque part dans la Somme.
Nous avons prié pour lui, mais aussi pour cette pauvre madame Euphrasie qui a perdu deux garçons en seulement trois jours. Croyez bien que je mesure pleinement ce que peut être la douleur d’une mère qui vient de perdre ses enfants.
On ne sait pas grand chose de ce qui est arrivé, mais nous voilà confrontés aux dures réalités de la guerre. Je me demande comment parler de cela aux enfants qui viennent juste de rentrer en classe, et d’ailleurs, faut-il leur en parler?
Je constate avec tristesse que beaucoup d’entre eux sont trop occupés dans les taches que ne peuvent plus faire les grands et manquent souvent des journées d’école. La guerre n’est pas qu’une affaire d’hommes, elle rejaillit aussi sur les temps de l’enfance…
Que leur dire ? Que ces combattants iront droit au paradis car ils sont morts pour une juste cause? Qu’au moment de quitter ce monde, ces jeunes frères ont sans doute eu le temps de sauver leur âme en se tournant vers Dieu?
Pardonnez ma faiblesse ma mère, mais Dieu peut-il décider si une guerre est juste ou injuste ? Je ne le crois pas, Dieu est amour, ce sont les hommes qui ne savent pas entendre sa parole.
D’ailleurs, ces deux hommes ne combattaient pas dans la même unité, et avant de le rejoindre dans la mort, ce pauvre Félicien n’a probablement pas su que son frère aîné était tombé en combattant trois jours plus tôt; c’est peut-être mieux comme cela.
Demain matin, à la prière, nous dirons une intention pour qu’ils trouvent le repos. Les prières des enfants montent tout droit au ciel.
Nous devons maintenant nous préparer à faire face à l’hiver à venir car la guerre risque de durer et nos moyens sont limités.
Qui va nous fournir du bois et des provisions pour l’école? Qui nous viendra en aide ? Je me garde bien de perdre espoir, mais il faudra bien y pouvoir.
En attendant de vos nouvelles, je vous embrasse respectueusement.
Sœur Joséphine.
PRADEILLES François Léopold, Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Gérard Balardelle
Ma chère Lucie,
Les ardeurs de l’été s’éloignent doucement et les matinées se font de plus en plus fraîches, la rosée brille au soleil du matin sur les prés du moulin de Gineste, les arbres sont chargés de pommes multicolores et les poules semblent éblouies par les perles de rosée.
Je pense à toi, aux enfants, vous me manquez ; vivement que j’aie fini d’aménager le dessus de l’école pour vous accueillir ici.
Je suis passé hier au moulin et madame Gineste m’a offert le café, c’est une brave femme, courageuse et généreuse. Nous avons bavardé un moment.
Elle venait de recevoir une lettre de sa belle sœur Céleste, celle qui travaille chez monsieur Proust, un écrivain parisien. Elle lui racontait que son mari Odilon a été réquisitionné trois jours pour amener avec son taxi des combattants sur le front de la Marne.
Je ne sais pas si nous gagnerons cette guerre avec des taxis, mais je sais qu’elle continue ses ravages dans notre petit village. Le jeune François est mort quelque part en Allemagne de la suite de ses blessures. Il n’avait que 24 ans. C’est terrible, on apprend les nouvelles avec plusieurs jours de retard et les familles sont désemparées, elles ne peuvent même pas faire le deuil de leurs chers disparus.
Nous ne sommes qu’à la mi-septembre, la guerre a commencé il y a un mois et demi et les gens commencent à prendre la mesure des choses. Le dimanche, les hommes qui n’ont pas été mobilisés se rassemblent au bistrot, mais le ton a changé, on est loin de l’entrain du début août pour une guerre éclair et un retour pour finir les moissons ; il s’installe peu à peu une sorte de résignation.
Les gens commencent à se poser des questions sur les raisons de cette guerre, ils ont l’impression qu’on ne leur dit pas tout… La presse est manipulée par la censure, et je ne crois pas que l’humanité échappe au phénomène.
Le travail ne manque pas, les fruits, les noix, les pommes de terre à récolter…
Il est temps de faire rentrer du charbon car les matinées sont de plus en plus fraîches, mais tout est désorganisé ; le
courrier, les transports, les marchandises.
Tout ici commence à pâtir de cette guerre qui s’installe peu à peu dans les esprits et dans les familles.
J’attends de vos nouvelles, embrasse les enfants, je vous aime tous les trois.
Augustin.
Pradeilles Joseph Jean-Baptiste Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Pascaline Granjean
Ma mère,
J’ai lu dans la croix que le 29 octobre, une violente tempête a fait des dégâts dans le midi, j’espère que le siège de notre congrégation n’a pas subi trop de dommages. Ces désagréments sont cependant bien peu à coté des souffrances qu’impose aux familles de nos campagnes cette maudite guerre qui s’étend comme un fléau sur l’Europe.
Il fait froid maintenant, l’hiver est là et les familles ont de plus en plus de mal à s’organiser. Quatre mois que les hostilités ont commencé et il est difficile d’avoir des nouvelles du front. Les courriers arrivent au compte goutte et ne disent pas grand chose, les soldats essayent de rassurer leurs familles, ils ne veulent pas les laisser s’inquiéter.
Pour cela, ils parlent de choses et d’autres, de leur quotidien, des camarades, mais jamais de faits de guerre.
Monsieur le maire dit que c’est normal, qu’il y a des espions partout et que par conséquent écrire ces choses reviendrait à informer les ennemis sur les positions de nos troupes.
Le pire est d’ailleurs de ne recevoir aucune nouvelle, cette attente est insupportable tant elle est emplie d’incertitude. Les enfants commencent à poser des questions et leurs mères ne savent que leur répondre.
Nous avons appris hier le décès quelque part en Belgique de monsieur Pradeilles, de Correjac. Il avait 34 ans. C’est Marie Mélanie, sa pauvre veuve qui s’est trouvée mal quand elle a vu arriver au portail de la grange le curé et les gendarmes.
Je plains ces femmes qui donnent tout à cette guerre, leur jeunesse, leur force car elles doivent remplacer leurs hommes dans tous les travaux du quotidien. Comme elles doivent se sentir seules face à ces injustices !
Hier, un jeune élève m’a demandé le pourquoi de cette guerre, et j’avoue que j’ai eu bien du mal à lui répondre si ce n’est en leur expliquant qu’il fallait bien reprendre l’Alsace-Moselle que les allemands nous avaient pris en 1871, mais pour un enfant de notre petit village qui n’a jamais dépassé Saint-Laurent d’Olt, ces choses là semblent bien lointaines, croyez moi. Les enfants ne manquent pas de bon sens, et il m’a répondu que les allemands voudraient sans doute reprendre un jour ce qu’on veut leur prendre aujourd’hui, et je crains qu’il ait raison.
Je vous embrasse respectueusement et prie pour vous et votre vieux papa. Quand sœur Marie montera, demandez lui d’apporter deux sachets d’osties pour l’église car nous allons bientôt en manquer.
Sœur Joséphine.
SAGNET Basile Louis Joseph Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Gérad Balardelle
Mon très cher frère,
L’hiver est là et la bise fait tourbillonner les dernières feuilles qui se détachent des arbres sur le travers de Rochalte.
Le froid entre dans les maisons et dans les cœurs des familles, il va falloir faire face aux rigueurs de l’hiver.
Lucie et les enfants m’ont rejoint au village, J’ai maintenant cinq élèves. Tu sais comme il est dur de maintenir ouverte une école publique et laïque dans un village sous influence des calotins, mais c’est notre mission et la cheminée de l’école fume tous les matins.
Hier, je me suis fait sermonner par le curé parce qu’il avait appris que j’avais, en leçon de choses, demandé aux élèves ce qu’ils pensaient de cette guerre.
Il m’a dit que la guerre était quelque chose de trop sérieux pour aborder un tel sujet à la légère, et que c’était pas l’affaire des enfants…Je ne le suis pas dans son raisonnement, tu t’en doutes, mais il faut rester prudent car la censure veille.
L’autre jour, un soldat du village a obtenu une permission exceptionnelle pour convalescence. Je l’ai rencontré mais je n’ai pas pu lui faire dire grand chose, il craignait que ses paroles ne soient rapportées aux gendarmes qui en auraient immédiatement informé son unité.
La censure est partout, les courriers, quand ils parviennent, sont biffés ou raturés, des phrases entières sont noircies à l’encre.
Hier, les gendarmes sont venus annoncer la mort quelque part en Belgique de monsieur Sagnet, le mari d’Alix Angèle que nous avions rencontré en septembre de l’an dernier à la kermesse quand tu es venu me visiter. Cette année, il n’y a pas eu de kermesse, les auxillacois n’y avaient pas le cœur, c’est aisé à comprendre.
C’est un terrible hasard que deux jeunes de notre village aient été tués le même jour en Belgique. La guerre a ses logiques qui dépassent celles des hommes, et ces deux pauvres bougres sont tombés le jour où les cloches des morts sonnaient le glas dans nos campagnes.
J’attends de tes nouvelles, Lucie et les enfants se joignent à moi pour t’embrasser. J’aurai, je l’espère, le plaisir de partager un verre avec toi dans deux semaines à Rodez.
Ton dévoué Augustin
CASSAGNE Arthémon Jean Baptiste Joseph Mort pour la France
Lu par Anaïs Jouishomme et Charles Nogaret
Ma chère Marie,
Je n’ai pas eu de nouvelles de ton mari depuis cette carte du 11 septembre où il disait qu’il pensait que la guerre serait longue.
Le facteur me dit que tu as eu des nouvelles récemment et qu’il se porte bien ; tant mieux.
L’hiver est là maintenant et les journées sont d’autant plus longues que, comme tu le sais, je ne dors pas beaucoup la nuit. Nous devons nous aussi participer à l’effort de guerre et je tricote des chaussettes pour les soldats au front.
La journée, les sœurs de l’école réunissent les femmes qui ont un peu de temps pour tricoter, on apporte notre ouvrage à La Canourgue et c’est expédié au front. On en envoie aussi dans les colis.
Les sœurs ont bien du mérite avec tous les efforts qu’elles doivent faire, garder les enfants plus longtemps pour soulager leurs mères et faire l’école le soir aux plus grands, mais ces après-midi autour du feu apportent un peu de consolation aux deux jeunes veuves qui doivent trouver les veillées bien longues.
Hier, je m’étais mise à la fenêtre pour y voir plus clair pour tricoter et j’ai vu les gendarmes et monsieur Clavel entrer dans le courtiagas, ils venaient annoncer le décès de ce pauvre Arthémon quelque part en Belgique. C’est terrible, cette pauvre Eugénie était dans tous ses états.
Ta sœur Augustine, qui écrit cette lettre pour moi, aime beaucoup aller à l’école et récite des poèmes de Victor Hugo. Elle pourrait faire une savante si elle continuait comme ça, mais chez nous les pauvres, le temps n’est pas à étudier.
Si tu descends pour la foire de la Canourgue, passe par la maison, je te préparerai quelques provisions.
On t’embrasse bien fort.
Flavie et Augustine.
CLAVEL Louis Marius Étienne , Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Gérard Balardelle
Voila bientôt cinq mois que cette maudite guerre a éclaté. Noël approche, et la vie doit pourtant continuer.
Avec les enfants de l’école, nous avons ramassé de jolis morceaux de bois blanc abandonnés par les crues du ruisseau et je leur apprends à les sculpter. Le bois est lisse et plus solide quand il a trempé quelque temps dans l’eau.
Nous nous sommes mis dans l’idée de faire une crèche. Ça leur fait à la fois un exercice d’adresse et ce sera un peu de réconfort pour les fêtes à venir. J’ai bien peur que cette année les sabots ne soient que chichement garnis.
J’ai entendu dire que les soldats du front avaient creusé de solides tranchées et occupaient le temps à fabriquer des petits objets pour préparer le Noël. Je ne sais pas si c’est de la propagande des autorités pour donner un visage plus humain à cette guerre qui s’enlise, mais en tout cas ça nous a donné une bien belle idée.
Il faut dire qu’ici il fait anormalement chaud pour la saison, nous sommes le 10 décembre et il y avait avant hier plus de 20 degrés à La Canourgue. Il paraît que c’est la même chose partout en France. Ce n’est jamais bon ces saisons sans hiver, mais au moins les soldats auront moins froid dans les tranchées.
J’ai lu dans le journal que le gouvernement français était de retour à Paris, c’est logique, le front s’éloigne de la capitale. Par contre, le conflit prend une dimension mondiale, la Turquie a rejoint l’Alliance, six millions cinq cent mille soldats russes sont mobilisés et la Hongrie est entrée en guerre aux cotés des autrichiens. Il y a maintenant huit pays engagés dans ce conflit.
Les familles s’activent pour préparer des colis à envoyer aux soldats pour Noël, mais les gens ne sont pas bien riches. Les solidarités s’organisent pour envoyer des denrées qui se conservent : des biscuits, du café, du sucre, des saucissons, du pâté ou du chocolat.
Les femmes tricotent des gants ou des chaussettes, et les vieux du village s’y sont mis eux aussi, il n’y a pas de sot métier ça porte un coup à leur orgueil de grognards, mais c’est utile et ça garnit les veillées!
Avec les enfants, nous avons commencé un travail de rédaction de petits poèmes et de dessins de Noël que nous donnerons aux familles pour qu’elles les fassent suivre au soldats, ce seront autant de messages d’espoir dans le grisaille des tranchées.
Je vous embrasse, toi et ton épouse. Lucie et les enfants se joignent à moi pour vous souhaiter de joyeuses fêtes de Noël
Ton frère Augustin
ALDEBERT Jules Régis Frézal grièvement blessé mort pour la France le 20 mars 1915
Lu par Charles Nogaret et Anaïs Jouishomme
Ma mère,
C’est une bien singulière fête de la nativité que nous avons vécue au village, en l’absence des combattants mobilisés au front.
Les loupiotes, les chants et les quelques sucreries distribuées aux enfants ont eu bien peine à faire oublier les plaies de la guerre qui a déjà coûté la vie à sept hommes du village, et je crains que cela ne soit pas fini.
Hier la famille de ce pauvre monsieur Aldebert a reçu un courrier d’un camarade de combat l’informant qu’il avait été blessé le 4 décembre dans la Marne, et qu’il était à l’hôpital. Il ne dit pas grand chose de plus pour ne pas les inquiéter.
La messe de Noël a été une belle fête grâce aux chants des enfants qui ont résonné dans les murs de notre petite église comme un message d’espoir. En dirigeant cette chorale, j’ai machinalement levé les yeux vers les tribunes qu’occupent habituellement les hommes. Elles étaient à demi vides et j’ai une fois de plus pris la mesure de ce que peut être la solitude d’une épouse, d’une fille, d’une mère ou d’une sœur dans ces moments qui devraient être une fête de la paix et de l’amour.
Les femmes sont tristes mais dignes et courageuses, elles doivent suppléer à toutes les tâches que les hommes ne sont plus là pour faire chaque jour.
Les personnes âgées font ce qu’elles peuvent pour les aider, mais le froid engourdit leurs corps et la pénurie de marchandises leur permet à peine de manger à leur faim. Si l’on ajoute à cela l’angoisse quotidienne, l’attente d’une lettre qui n’arrive pas ou la peur de voir arriver des messagers du désespoir.
La semaine passée, une jeune fille du Paven me racontait que sa mère et elle avaient vu les gendarmes arriver au fond du hameau, elles ont été glacées d’effroi à l’idée qu’ils puissent s’arrêter devant leur porte. Le cortège les a saluées et est passé sans s’arrêter, ils allaient plus haut, et la fillette m’a avoué qu’elles avaient eu presque honte d’être soulagées en pensant à la douleur qu’allait supporter une autre famille plus haut dans le village.
Nous avons prié pour que cesse cette guerre, et demandé une indulgence pour les morts.
Demain, les classes reprennent, notre devoir est d’aider les enfants à surmonter ces temps difficiles, nous nous y employons toutes malgré le peu de moyens pour faire face. Nos réserves de bois s’épuisent, le prix du pétrole augmente et je crains bien que l’hiver ne fasse que commencer.
Je vous embrasse respectueusement et attends de vos nouvelles.
Sœur Marie
Maurizy Marien Camille, mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Laurent Mourot-Faraut
Le nouvel an nous apporte une mauvaise nouvelle supplémentaire avec un nouveau décès dans la paroisse.
Il est très éprouvant de célébrer des offices mortuaires alors que les dépouilles des soldats ne sont pas toujours rendues à leurs familles, et pour causes ; certains sont tombés sur des terres prises par l’ennemi, d’autres ont été inhumés sur place ou dans des cimetières militaires.
Neuf auxillacois sont tombés sous les balles de l’ennemi en cinq mois de guerre, c’est terrifiant et je me demande si ces hommes, dans leurs derniers moments, ont eu le temps de trouver la parole réconfortante d’un prêtre, d’un rabbin, d’un pasteur ou de tout autre homme de Dieu pour les aider à quitter ce monde dans la paix du seigneur.
Hier, une paroissienne m’a montré une lettre reçue quelques jours auparavant de son jeune frère, les mots qu’elle contenaient étaient terribles.
Le pauvre garçon était sans aucun doute très troublé quand il écrivait : «Aujourd’hui, j’ai tué mon premier homme…Je n’aurais jamais cru que c’était aussi facile et douloureux à la fois. Je me demande combien de mois on avait d’écart lui et moi, peut être juste quelques jours ? Je me demande s’il avait des frères ou des sœurs, s’il était fiancé ou marié, s’il aimait écouter la duganelle la nuit quand la lune éclairait la terre comme en plein jour. Je ne risquais pas de savoir puisqu’on ne s’est jamais parlé, et aujourd’hui c’était lui ou moi…
Je me demande comment l’état major a laissé passer un tel courrier qui risque de semer le trouble dans le cœur de celles et ceux qui les reçoivent… Il est vrai qu’en période de Noël ils ont certainement eu beaucoup à faire.
C’est çà la guerre, mon père, ce ne sont pas que des héros qui montent au front pour défendre glorieusement un pays, ce sont aussi de jeunes hommes à qui l’on demande d’accomplir des tâches pour lesquelles ils n’ont pas été préparés.
Crois bien mon père qu’il n’est pas une messe, pas des vêpres où je ne prie pour le salut de tous, de ceux qui ne sont plus, de ceux qui luttent, d’un coté comme de l’autre car ce n’est pas le combat du bien contre le mal, ce sont juste des hommes qui doivent tuer d’autres hommes.
Fasse le ciel qu’ils trouvent tous le repos.
Je te salue fraternellement
Victorin Jourdan, curé d’Auxillac.
BOISSONNADE Fortuné Étienne Julien, mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Gérard Balardelle
Mon cher Frère,
Voilà quelque temps que je n’ai pas eu de vos nouvelles, je mets cela sur le compte de l’hiver particulièrement rude cette année. Nous avons eu beaucoup de neige ces derniers jours, plus de trente centimètres, ce qui n’est pas forcément de saison pour une fin de mois de Mars.
En plus, cette neige est grasse et colle aux branches à tel point qu’on entend de temps en temps un arbre se briser au pied du bois de Rochalte. Ces craquements sinistres me font froid dans le dos et résonnent comme des coups de feu dans le silence engourdi de ces nuits interminables.
Je ne te cache pas que cet hiver qui n’en finit pas a été très dur pour tout le monde. Qu’est-ce que çà a du être dans les tranchées ! le froid, la vermine, l’eau qui suinte, la menace des maladies et des épidémies.
Ici, le village se resserre autour de son clocher, de ses épiceries et de ses cafés, mais c’est plus difficile pour les petits hameaux de Marijoulet ou de Correjeac qui doivent se déplacer pour venir aux provisions. L’hiver a été long et les provisions des récoltes sont sérieusement entamées.
Les familles font ce qu’elles peuvent mais l’argent manque, les ventes de leurs productions ont été pour le moins
difficiles l’automne dernier et n’ont pas rapporté comme attendu. Des denrées comme le sucre et le café se font de plus en plus rares et il est difficile d’avoir de la présure pour cailler le lait des vaches. Les granges se vident et l’on attend le printemps avec impatience pour sortir le bétail.
Je fais ce que je peux pour aider les enfants, leur donner des leçons le soir ou les dimanches après-midi. Je leur offre une sucrerie de temps en temps pour les encourager. Je pense que l’instruction est une porte qui s’ouvre vers la tolérance et le pacifisme, bien que ceux qui nous gouvernent sortent des grandes écoles, et ça ne les empêche pas de faire la guerre et d’envoyer sans le moindre scrupule des jeunes hommes à l’abattoir.
Je suis fatigué mon frère de faire des leçons de géographie à des élèves en leur montrant des cartes qui ne représentent plus que des motifs de conflits. Les pays changent de nom, changent de mains, et le malheur les accompagne dans cette partie de cartes truquée.
Il nous faut réagir, et apprendre à nos élèves à tirer des enseignements de ce qui les entoure. Sans être un grand chrétien, Je rejoins Bernard de Clairvaux quand il dit qu’il faut tirer le miel des pierres et l’huile des rochers les plus durs. Nous devons aller chercher le savoir plutôt que d’attendre qu’on nous en impose les travers dans des discours de politiciens soumis aux caprices des rentiers dépravés.
Je cesse mes références calotines au risque de te lasser. Lucie et les enfants vont bien, malgré les privations que nous impose la guerre. Le Puy n’est pas au bout du monde et nous projetons de venir vous visiter pour les vacances de Pâques.
Je t’embrasse fraternellement.
Augustin
PRIEUR Palmyr Marius Antonin, mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Laurent Mourot-Farraut
Monseigneur,
Je viens d’apprendre par l’aumônier François qui a obtenu une permission pour convalescence, le décès à Hypres du jeune Antonin. Le pauvre garçon avait tout juste 21 ans et voulait consacrer sa vie à Dieu.
Il suivait un parcours brillant d’aspirant aux Augustins de l’Assomption au Luxembourg. J’aimais beaucoup ce jeune garçon qui me visitait souvent avant de faire ce choix au service de notre seigneur.
J’ai aussi appris, sous le couvert de la discrétion qui nous lie entre prêtres, que l’armée allemande utilisait des gaz mortels sur le front depuis le milieu du mois d’avril, et que les victimes de ces obus empoisonnés mourraient dans de terribles souffrances. L’état major se garde bien de diffuser ces informations. Comment est-ce possible ? Mais jusqu’où ira la folie des hommes qui ont détourné leur regard de Dieu?
Le mois de mai est là, la nature s’éveille doucement. Je fais beaucoup d’efforts pour soutenir nos fidèles, leur donner espoir, leur rappeler les voies de la patience, de la foi et de la sagesse.
Les temps sont durs monseigneur, les travaux des champs fatiguent les corps des femmes qui n’ont personne pour les réconforter de leurs efforts. Les hommes sont partis depuis bientôt un an et la solitude commence à se faire sentir.
Ces femmes se confient à moi en confession, expriment leurs doutes, leur désarroi face à un avenir de plus en plus incertain, leurs peurs face aux tentations qui les hantent. Les courriers qu’elles reçoivent du front sont peu chargés de tendresse. Les soldats sont pudiques et rechignent à écrire des mots que les censeurs liront avant leur destinataire, leurs épouses se censurent de leur coté dans les courriers qu’elles savent ouverts par l’état major De ce fait, le doute s’installe des deux cotés.
La guerre aide les démons à avancer leurs basses œuvres jusqu’au plus profond des cœurs. Elle a pour particularité de mettre les veuves et les femmes mariées sur un pied d ‘égalité, celui de la solitude qui s’installe dans le temps.
Je crains que cette guerre n’ait provoqué un ennemi supplémentaire, sournois et rampant, celui de l’effondrement des valeurs et des enseignements de notre seigneur. J’attends de vous, monseigneur, un soutien spirituel dans la poursuite de ce combat.
Votre dévoué serviteur Victorin Jourdan, curé d’Aurillac
BOISSONNADE Léon François Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Pascaline Granjean
Ma chère cousine,
J’espère que vous allez bien et que vous n’avez pas trop souffert des intempéries. J’ai appris par le journal qu’il était tombé près de 400 millimètres d’eau en 24 heures à Perpignan et qu’il y a de graves inondations dans la région.
Il ne manquait plus que cela pour compliquer le quotidien de ces pauvres gens.
L’instituteur me disait hier qu’il était tombé ici près d’un quart de ce qu’il tombe en une année, il mesure cela avec un pluviomètre qu’il a fabriqué avec les enfants en leçon de choses.
Un an déjà que les hommes sont partis et les nouvelles du front ne laissent pas entrevoir de jours meilleurs. Il va falloir faire face à un deuxième hiver de privations et de solitude.
Ma sœur Ginette qui est mariée à un patron de café à Paris me dit que les gens parlent de plus en plus ouvertement du conflit qui s’enlise, de l’inconfort des tranchées et des combats de plus en plus meurtriers et inutiles.
Le découragement fait son chemin dans les esprits et l’incompréhension creuse ses fossés entre ceux du front et ceux de l’arrière. Le climat s’envenime, les soldats s’impatientent et demandent des permissions régulières qui ont été suspendues depuis la mobilisation.
Ici aussi une sorte de lassitude s’installe. On commence à en vouloir à ceux qui n’ont pas été mobilisés. La guerre empoisonne les relations entre les familles et chaque nouvelle victime ne fait que renforcer cette amertume. Cette pauvre Marie vient d’apprendre par un courrier d’un camarade le décès de son fils Léon, c’est le deuxième enfant qu’elle perd dans cette maudite guerre.
Pour tout te dire, la situation devient de plus en plus difficile à vivre, et que l’on soit veuves ou mariées, on est toutes logées à l’enseigne de l’abandon. Chaque jour qui passe est un jour d’incertitude et de doute ; On en arrive à avoir peur quand arrive le facteur.
La guerre nous prend nos hommes, et avec eux leurs attentions. Il est bien loin le temps des rires et des fêtes, des baisers et des caresses ; les nuits deviennent des temps de grande solitude, et il m’arrive de me réveiller toute retournée en pensant à mon Albert qui croupit dans le froid là-bas, quelque part dans les tranchées du Nord.
Bien sûr, il y a la tendresse des enfants, mais ça ne remplace pas les bras d’un homme.
En plus, je sens que mes beaux-parents se méfient de moi ; comme si je pouvais me jeter dans les bras du premier venu. Je me sens seule, abandonnée, fatiguée, et les quelques mots de réconfort que m’envoie mon homme dans ses lettres ne suffisent pas à me rendre le courage, je m’apprête à passer le deuxième Noël loin de lui.
As tu des nouvelles de ton mari? Embrasse le pour moi et réponds moi vite
Justine
FORESTIER Henri Frézal Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Gérard Balardelle
Mon cher frère,
Nous sortons tant bien que mal d’un mois de Juin terrible. J’ai lu dans le tout nouveau Canard enchaîné que nous avions subi le mois de Juin le plus froid depuis 1851. Nous vivons décidément des temps déraisonnables : la guerre, les pénuries et en plus le climat qui s’en mêle…
J’ai rencontré quelques rares soldats qui ont pu obtenir des permissions, à La Canourgue ou à Rodez où je me rends assez régulièrement. La guerre s’est durcie depuis le début de la bataille de Verdun, elle est maintenant totale et les armes utilisées sont de plus en plus meurtrières ; artillerie lourde, mines, lance flammes, ce sont des milliers de tonnes d’engins de mort qui s’abattent sur les campagnes du Nord.
Je me demande ce qui pourra renaître un jour de ces terres dévastées…Les hommes commencent à être à bout, voilà maintenant deux ans qu’ils vivent ce cauchemar et l’on ne voit pas venir d’issue. De nombreux fronts s’ouvrent à l’Est, dans les Balkans et au Moyen Orient, Lawrence d’Arabie soulève les tribus arabes contre l’empire Ottoman.
Ici, la fin des classes arrive et les enfants vont devoir s’activer pour les travaux des champs. L’état major n’a pas envoyé assez de prisonniers de Villefranche de Rouergue pour y pourvoir, et de toute façon le système est perverti car il faut des hommes pour les garder. Ajoutons à cela les troubles et la méfiance que génèrent dans les familles la présence de ces hommes jeunes alors que des femmes dans la force de l’âge sont séparées de leurs maris depuis bientôt deux ans.
La semaine dernière, nous sommes descendus au ruisseau pour la leçon de choses. Il y a tant à apprendre dans ce que l’eau nous amène. J’ai amené les enfants au moulin pour leur faire comprendre la force motrice. Je ne crois pas que tout s’apprenne dans les livres, il y a tant de choses à voir et à comprendre dans les éléments qui nous entourent, et puis ces temps d’apprentissages leur font oublier que la guerre dévore une part de leur enfance.
La guerre ne durcit pas que les combattants, elle atteint les femmes et les enfants dans leur chair, les prive des moments de douceur. Les tâches agricoles fatiguent les corps, volent aux femmes leur jeunesse et aux enfants leur innocence. J’essaye de faire de mon mieux, je participe à l’effort de guerre à ma façon, en instruisant les enfants jusque parfois tard le soir, mais les apprentissages sont difficiles quand les esprits sont fatigués.
On vient d’apprendre le décès du jeune Henri Forestier.
Ce que je vais te dire est terrible mais on finit par s’habituer à ces annonces funestes qui rythment le temps et les saisons dans un monde qui s’emballe.
Donne de tes nouvelles, et raconte moi vite ta toute nouvelle affectation. Bien à toi
Augustin.
CASSAGNE Louis Clément Étienne Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Anaïs Jouishomme
Ma chère Marie,
Je suis contente que tu aies eu des nouvelles rassurantes de ton mari, et que sa blessure ne sera pas trop grave, mais au moins il n’est plus sur le front et c’est quand même moins risqué car avec tout ce qu’on raconte il y a beaucoup de souffrances et de pertes.
Il paraît que c’est terrible dans la Somme. J’ai demandé au curé Jourdan de dire des messes pour qu’il se rétablisse vite. Ta sœur va bien, elle a maintenant quatorze ans, et va devoir se placer comme domestique chez un maître en attendant que quelqu’un la demande. Elle viendra quelques jours de la semaine qui vient pour te donner un coup de main à finir les récoltes.
Il faudra tout cet hiver pour se suffire, le temps n’est pas à faire périr la marchandise, surtout quand l’argent ne rentre pas. L’argent ne sert pas à grand chose s’il n’y a rien à acheter. La semaine passée, il y a un soldat qui est revenu en permission de convalescence, sa mère me disait qu’il était dans un mauvais état de santé.
Dans les tranchées, il y a l’humidité, le manque d’eau pour faire la toilette, les vermines et surtout les poux. Elle me disait qu’il a fallu passer des heures pour l’en débarrasser, le pauvre diable se grattait à se faire saigner. Il tousse aussi beaucoup parce qu’il s’est trouvé pas loin d’un endroit où ils ont jeté des gaz et ça lui a fait du mal aux poumons.
Comme vous autres au Villard, on a pâti de la température du début de ce mois d’août. Pas loin de 35 degrés me disait ton frère, c’est une canicule, mais il paraît que c’est pareil partout puisque Léonie a eu des nouvelles de sa sœur qui est mariée du coté de Toulouse, il y avait près de quarante degrés toute la semaine du 2 août.
Le pauvre Louis Cassagne a été tué dans la Somme, cette pauvre Eugénie en pleure toutes les larmes de ses yeux ; ses deux enfants tués en deux ans. Ta sœur va lui tenir un peu compagnie le soir et lui rentrer du bois, il faut bien s’aider entre voisins et si ça nous arrivait pareil, on serait bien contentes de trouver un peu de réconfort.
Je te ferai passer par Augustine un peu de beurre que j’ai pu avoir, et de la confiture de groseilles, mais on n’en a pas beaucoup car il manquait du sucre à l’épicerie. On est allé voir derrière le Catelmas, il y aura des châtaignes à Beaufort et des noix à la Renquette, mais c’est encore trop tôt.
Soignes toi bien et donne des nouvelles d’Urbain, on t’embrasse tous très fort
Flavie
Boissonnade Marius Armand mort pour la France, gazé le 3 décembre 1916
Lu par Charles Nogaret et Laurent Mourot-Faraut
Mon père, cher Jean-Baptiste,
j’ai eu la douleur, ce matin, d’assister dans ses derniers moments, dans sa vingt sixième année un homme intoxiqué au front le mois dernier. Je me demande encore comment notre seigneur peut laisser se passer pareilles horreurs.
Ce pauvre homme a subi l’explosion d’un obus – probablement empli de chlore – il a été atteint aux yeux, au nez, à la gorge et aux poumons. Il a eu, si j’ose ainsi m’exprimer, la consolation de mourir dans son village, auprès des siens.
C’est peu, presque dérisoire ; mais dans ces temps d’incertitude, c’est quelque chose d’important. Sa famille a pu faire le deuil ; ce qui n’est pas le cas pour bon nombre de soldats qui sont probablement inhumés dans des fosses communes ou des cimetières militaires.
Combien de temps mettront les familles pour connaître le lieu de leur inhumation, et dans le meilleur des cas pourront-elles un jour se recueillir sur leur tombe ?
Qu’on en juge mon père, combien d’hommes sont tombés là-haut, sur les terres du Nord ? Je ne sais pas, à Auxillac on en compte à ce jour treize, mais chaque jour apporte son lot de malheurs. Le village de Chirac a payé lui aussi un lourd tribut, comme je le crois tous nos villages de campagnes.
Les hommes de ces terres étaient confiants en l’avenir, patriotes, honnêtes et droits, ils sont montés comme un seul homme vers ce front de haine et de destruction. Je crains bien que nous n’ayons fait que progresser dans la barbarie depuis les guerres napoléoniennes qui ont saigné nos campagnes. Il est bien loin mon père, ce temps où nous évoquions tous deux au séminaire ce que serait notre sacerdoce, ces moments bénis où nous porterions la parole de Dieu dans un monde apaisé et confiant.
Nous devons aujourd’hui nous battre, apporter du réconfort à celles et ceux qui en ont besoin, mais pouvons nous faire face à de tels déchainements de barbarie? Il me souvient que le supérieur au grand séminaire nous expliquait que dans ces moments de deuil, nous devions trouver les paroles qui donnent du sens à la vie du défunt et intègre sa disparition dans un message d’espérance. J’avoue que l’enjeu n’est pas des moindres et je me sens un peu désemparé…
Ici l’hiver est rude et les villageois se posent de plus en plus de questions. Le temps de la résignation est bien fini, vient celui de la colère. Le pire est cette défiance qui s’installe ; défiance vis à vis du pouvoir et des autorités militaires, défiance entre les couples séparés par cette guerre interminable, défiance des veuves de guerre face à des projets d’avenir qui feraient d’elles des infidèles à la mémoire de leurs défunts maris, défiance des belle familles…
La guerre a la perversion de créer des ennemis qui ne sont pas tous en dehors des frontières.
Gardons confiance mon père, nos fidèles ont besoin de nous. Dans quelques semaines, nous nous retrouverons pour la retraite spirituelle des communiants à Notre Dame des Neiges, ce sera pour nous l’occasion d’unir nos cœurs dans une prière à la mémoire de Charles de Foucault assassiné le mois dernier dans son ermitage du Sahara.
Je t’embrasse fraternellement.
Victorin Jourdan, curé d’Auxillac
Lascols Charles, grièvement blessé le 20 août 1914 mort pour La France
Lu par Charles Nogaret et pascaline Granjean
Ma mère,
L’hiver avance et avec lui nos provisions qui s’épuisent. Il ne nous reste que peu de bois et le printemps tarde à nous prodiguer ses bienfaits. Un peu de douceur ferait pourtant grand bien dans ce monde en proie au désarroi.
Les jours d’abondance sont bien loin derrière nous. Malgré leur pauvreté et les épreuves auxquelles elles doivent faire face, les familles font ce qu’elles peuvent pour subvenir à nos besoins et à ceux de l’école. Pas plus tard que la semaine dernière, on a charcuté deux cochons pour nous et on nous fait porter de temps en temps une volaille, de la farine et des œufs.
Nous avons regroupé pour l’hiver les enfants de Marijoulet et ceux d’Auxillac. C’est moins de chemin pour la sœur qui devait tout les jours monter faire la classe à pied. Les habitants du hameau se sont organisés pour les amener le matin et venir les reprendre le soir en voiture à cheval.
Les enfants continuent tant bien que mal à suivre les heures de classes, même si beaucoup parmi les plus grands doivent seconder leurs parents et grands-parents dans les tâches journalières. Nous avons prié aux vêpres pour l’âme de Charles de Foucault qui a été rendu à Dieu dans le désert du Sahara avant Noël, cela a été une occasion pour nous d’aborder avec les enfants la notion de fidélité à un engagement. Notre curé qui a eu la chance de le rencontrer quand il était novice à Notre dame des Neiges nous a longtemps parlé de lui, de la fascination qu’il avait exercée sur lui par la force de sa foi.
Nous avons appris par sa famille le décès à Paris du pauvre monsieur Lascols qui était blessé depuis août 1914. La guerre continue de prélever sur notre village un bien cruel tribut. L’heure est venue de préparer les fêtes de Pâques. En ces temps de renouveau, notre seigneur accédera-t-il à nos prières pour que finisse cette terrible guerre ? Je garde espoir ma mère, car il n’est pas dans la nature d’une chrétienne qui a voué sa vie à Dieu de laisser place au doute.
Cette année, avec votre permission et si les choses s’améliorent, nous envisageons de prendre le train pour aller en voyage scolaire à Notre Dame des Neiges., mais nous aurons l’occasion d’en reparler prochainement à Rodez. Je prie pour vous ma mère, et la santé de votre vieux papa.
Votre dévouée
Sœur Joséphine
Cavalier Henri Antoine, Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Anaïs Jouishomme
Ma chère cousine,
Nous voilà déjà presque à la fin de l’été et le conflit continue ses ravages. L’entrée en guerre des États Unis ne semble pas faire émerger pour autant de solutions proches et l’abdication du Tsar de Russie n’annonce rien qui vaille sur le front de l’Est.
Je prolongeais hier soir avec Augustin un débat qu’ils ont ouvert en atelier la semaine passée à Rodez . Ils s’interrogent sur ce que l’éloignement peut avoir pour conséquences dans les couples. Cela fait maintenant trois ans qu’ils sont séparés. La guerre a fait son chemin.
Dans les premiers mois le lien conjugal s’était solidement resserré. Comme les sentiment religieux, la tendresse des
femmes s’était renforcée, mais le temps ne risque t’il pas d’avoir effacé l’un ou l’autre ? Je crains que maintenant la guerre n’ait duré que trop longtemps, et elle n’est pas finie. Les femmes et les hommes, chacun de leur coté doivent s’accoutumer à l’absence de l’autre et il ne faudrait pas que cela ait creusé un fossé dans les couples.
A leur retour, les hommes valides – et je n’oublie pas les blessés et les mutilés- seront-ils capables de recréer une intimité avec leurs épouses qui, entretemps, auront du faire face, assumer des tâches d’hommes, que ce soit au niveau du travail physique ou des décisions en terme de contrats, de marchés, de direction d’exploitation, d’actes d’état civil ou d’éducation des enfants…
D’un autre coté, ces hommes qui ont du créer des solidarités, des proximités de frères d’armes dans les tranchées avec d’autres camarades seront-ils capables de s’extraire de cette situation devenue pour eux ordinaire pour se retrouver face à leurs responsabilités de maris. En trois ans, une personne change dans son corps, mais aussi dans son esprit, dans ses douleurs, dans ses blessures psychologiques.
Je me pose bien des questions. Le temps qui passe nous a habitués à la litanie des disparus, et maintenant je commence à m’inquiéter de l’après guerre. Ce conflit aura t-il émancipé les femmes au point qu’elles ont été, d’après ce que disait à Augustin un officier démobilisé qui avait pour rôle de relire les courriers, les premières, au travers de leurs écrits à leurs maris, à franchir les frontières de la pudeur en évoquant leur désir charnel ?
Ce franchissement de la chasteté imposée par la guerre n’aura t’il pas aussi des répercussion sur l’équilibre des couples à reconstruire.
Il est tard et mes questions ne sont que des questions, et tu connais mon combat pour l’émancipation des femmes. Tu te moquais de moi et de mes idées, mais je crois que nous aurons toutes à nous mobiliser pour préparer ce retour à la paix que j’espère le plus rapide possible, et je me dis que finir une guerre est sans doute beaucoup plus compliqué que de la commencer si tant est que finir une guerre ne crée pas les conditions de préparer celle qui suivra…
Je t’embrasse affectueusement.
Lucie
ASTRUC Jean Baptiste Joseph Marie : Mort pour la France
Lu par Charles Nogaret et Pascaline Granjean
Ma mère,
Toussaint approche et son cortège d’intempéries. Les pluies de fin octobre ont été très abondantes ici aussi, et ma cousine m’écrivait hier qu’il était tombé 236 millimètres à Perpignan en une seule journée, ce qui équivaut à trois mois de précipitations. Je prie pour que ces intempéries n’aient pas trop atteint le moral de nos compatriotes qui est déjà bien entamé.
L’école a repris ses cours, et je pense maintenant à ce que va être pour ces enfants le temps du retour à la paix, le temps du retour de leur père.
Nous avons pendant toute la durée de ce conflit essayé de rendre cette absence supportable, de cultiver l’image de ces pères combattants pour la grandeur de la nation, mais cela sera t-il suffisant pour les préparer à ce retour?
Un enfant grandit et murit en trois ans, et la guerre a pour effet d’accélérer leur maturité en leur volant une partie de leur enfance. Ile ne connaissent pas grand chose de ce père absent. Leur mère leur en ont parlé, certes, et nous le faisons aussi, mais il n’est pas certain que cela soit suffisant. Seront-ils, comme leur mère d’ailleurs, en mesure de relier un père si longtemps imaginé et cet homme réel qu’il sera forcément devenu ?
Les trop rares permissions n’ont pas été suffisantes à créer, consolider ou maintenir ce lien avec des pères idéalisés par ces enfants, ou connus seulement au travers des nouvelles entendues tranches de vie racontées, ou objets du quotidien, des photos ou des lettres…
Peu à peu les hommes vont être démobilisés, certains sont déjà de retour et je crains que ces retrouvailles ne creusent un écart entre l’image d’un père ou d’un mari auréolé de gloire et tant attendu et la rencontre d’un homme marqué par le conflit ou – pire – rendu méconnaissable par une blessure. Ne risquent-ils pas alors de se trouver confrontés à un inconnu?
La guerre est maintenant achevée le temps des retrouvailles est là, fasse le ciel que tout cela se passe dans les meilleures conditions.
Le temps est à se réjouir de la victoire, mais à quel prix ?
Je prie pour que ces retrouvailles soient un moment de vraie construction. Nous devons unir nos efforts pour que la paix signée la semaine dernière s’ouvre sur une ère d’amour et de prospérité.
Je vous embrasse respectueusement
Sœur Joséphine.
Et puis il y a les suites de la guerre, ceux qui sont revenus, ceux qui en sont morts…
Puel Jean Baptiste Paul , Mort pour la France
Ressouche Marien Auguste , Mort pour la France
Les femmes aussi font la guerre
Lu par Pascaline Granjean et Anaïs Jouishomme.