Henri Compeyron
Posted on 22 juin 2015 in Les êtres chers
Certaines personnes prennent parfois dans notre vie une place inattendue.
Présentes au bon moment ou au bon endroit, gardiennes du temps et tutrices de notre enfance, elles participent à leur façon à la construction de ce que nous sommes devenus. Peut-être tout simplement parce qu’elles nous ont appris à aimer le monde qui nous a vu grandir.
C’est le cas de “Ricou” ; monsieur Compeyron.
Il est vrai que s’il fallait mesurer l’amour d’un homme pour son village au nombre des années qu’il l’a servi, Henri Compeyron tiendrait sans aucun doute le haut du pavé.
Henri est né en 1920 dans un Auxillac qui pansait les plaies de la première guerre mondiale. Élève studieux et discipliné, il est obtient le baccalauréat, ce qui est assez peu commun pour l’époque.
Dans les années 40, alors que l’occupant instaure le service du Travail Obligatoire (STO), il se range dans le camp des réfractaires et quand en 1945 le village accueille ses prisonniers, c’est lui porte la gerbe devant le monument aux morts.
Qui parmi les aînés ne se souvient de cet homme avenant que tous ses amis appelaient affectueusement « Ricou ? »
Qui ne l’a jamais rencontré en promeneur solitaire dans les plats du Catelmas ou les chemins des Couronnes, les mains croisés dans le dos, le front studieux penché vers le sol, comme si chaque pierre du chemin s’assemblait à une autre pour raconter l’histoire d’un pays qu’il connaissait dans ses moindres détails.
Un pays qu’il a aimé au point de ne jamais le quitter et toujours le servir. Maire adjoint, conseiller municipal, secrétaire bénévole à la mairie, correspondant de presse… Il a aussi tenu pendant de longues années l’harmonium et dirigé les chœurs de la petite église qui lui a justement rendu un dernier au revoir.
Cantonnier au temps ou la « nationale 9 » était la seule voie reliant Paris aux rives du midi, Henri a patiemment entretenu ses abords, taillé ses arbustes, balayé ses gravillons, enlevé les congères. C’était un temps où chaque employé des Ponts et Chaussées avait sous sa responsabilité une portion de route et des chemins. Enfant, nous étions convaincus qu’il était le chef de la route, et nous étions tellement fiers en passant près de lui quand il nous souriait en faisant un salut de la main.
Comme tous les hommes qui aiment lire, écouter, raconter, Henri a eu un jour besoin de mettre des mots sur des lignes de papier, de les soigner, les décorer, les faire chanter sur les portées du temps pour faire beau son village.
De ce travail de fourmi sont nés deux livres sur la vie d’Auxillac.
Chardonnet, Marijoulet, Flouret, Salmon, La Tieule, Celets, Malbosc, Le Paven, Correjac, La Roquette, tous ces noms se posent aujourd’hui comme des papillons sur les nacres de l’harmonium pour dire à cet homme qui maîtrisait si bien la langue du félibre combien il va leur manquer.
Ricou a quitté le village pour aller vers une autre lumière, mais pour tous ceux qui l’ont connu, aimé et respecté, il n’est pas tout à fait parti, il a juste rajouté à la plume son nom à celui de celles et ceux qui ont fait la grandeur du village.
Ricou est allé retrouver ses copains du village partis depuis longtemps boire le verre de l’amitié vraie chez les gentils de l’au delà.
Le vieil harmonium de l’église est maintenant muet, les tombes juives s’effacent doucement dans le calcaire de la Tieule, les chemins des Couronnes étirent leur méandres à l’abri des clapas, les rives du Chardonnet s’embroussaillent aux pieds des piboules centenaires.
Au détour du ruisseau, la roue du moulin tourne péniblement sur ses dents de métal, clepsydre implacable qui joint les plaintes de son axe vieillissant à la tristesse de nos voix.
« A dieu siat Monsiur Coumperyou!»