Un bout de chemin
Posted on 28 mars 2015 in C'est la vie
Un chemin, c’est un un peu comme un conducteur de train. On ne le voit pas toujours mais sans lui on ne peut pas aller bien loin puisque c’est lui qui nous y mène.
C’est un peu façon de parler, bien sur, mais quand même c’est important pour la suite. D’ailleurs, le conducteur de train suit lui aussi son bonhomme de chemin sur le chemin de fer.
Un chemin ça peut aussi se mélanger aux gens pour faire comprendre les choses, un peu comme si ça les aidait à retrouver leurs petits dans la rocaille des mots.
Un chemin c’est un voyage en soi, ou plutôt dans soi. C’est tous les sens qui se déplacent, se succèdent et se rencontrent ou se bousculent selon que le chemin les y invite. L’homme qui marche voit les choses, les entend et les sent ; l’homme qui s’arrête un moment les regarde, les écoute, les savoure. C’est le chemin qui veut ça ; les chemins ressemblent aux hommes, ils sont changeants, compliqués, lumineux, sombres ou capricieux.
Il y a ceux qui ne passent pas par quatre chemins, il y a ceux qui mènent à Rome, ceux qui sont plein de grands bandits, ceux qui s’ennuient en regardant la croisée, ceux qui sont sur la table, ceux qui nous en font voir les pierres, ceux qui passent leur chemin et qu’on ne veut pas voir, ceux qui se croisent, les mauvais que l’on prend à l’envers, ceux qu’on rebrousse, ceux qu’on cherche, ceux qu’on trouve.
Il y a ceux qui n’aiment pas la ville, ou plutôt ceux que la ville n’aime pas, alors au carrefour des rendez-moi ça, elle leur colle du goudron et des plaques de béton sur le paletot ; mais ça c’est autre chose. Là ils changent de nom, c’est des voies, des boulevards, des avenues, des rocades, des venelles, des sentes, des ruelles et même des impasses, les plus tristes de toutes, ces sœurs abandonnées des rues qui sentent la poussière de la nuit et mènent nulle part celui qui les emprunte.
Mais là je voulais parler des chemins ceux de chez nous, ceux qui sentent bon et mènent quelque part, ceux qui ont des noms parce qu’ils existent, parce qu’ils sont utiles, c’est pour ça qu’ils ont des noms. Quand on a un nom, c’est pour être utile, pour servir à quelque chose, dire où on est, où on va et par où on passe.
Prends le chemin vieux par exemple, celui qui va du Paven à Correjeac. Vas savoir pourquoi il s’appelle comme ça, et d’ailleurs depuis quand il est vieux? C’est pas prudent de dire ça ; les chemins sont un peu comme des femmes capricieuses, ils finissent toujours par t’amener où tu veux en venir, mais ils aiment pas trop que tu dises leur age.
Tu le prends à la maison blanche, celle ou pendant la guerre il y avait des russes qui buvaient de l’alcool à brûler en pleurant et qui faisaient peur aux filles du village parce qu’ils ne parlaient pas français. Enfin, c’est ce qu’on dit, c’était pendant la guerre de 14, il y a longtemps et c’est peut être de là que date le chemin. Des Russes ça roules les R et les yeux en même temps, ça ronfle comme une locomotive de l’Oural, ça pleure pour quelque chose d’oublié dans l’histoire, ça danse sur un pied avec les bras croisés, ça a des barbes plus longues que le juif errant en personne et ça boit tout haut des alcools qui brûlent le ventre.
Ça peut pas être bon pour les dames de ce temps…
Je me rappelle que ma grand-mère disait qu’un oncle à elle était mort au chemin des dames. Il y avait donc des chemins pendant la guerre, alors peut-être le chemin vieux date bien de ce temps là…
Je dis donc : tu le prends à la maison blanche à l’angle de la maison d’Augustine et tu montes vers les Tioulières. En passant, tu noteras que la maison blanche a jamais été blanche et que personne ne l’a jamais vue blanche, sauf peut-être les russes quand ils avaient bien picolé l’alcool qu’ils n’avaient pas mis dans la lampe, c’est sans doute pour ça que quand il avait bien mangé et bu quelques canons, mon papète disait qu’on s’en était mis plein la lampe….
Tu passes donc la Tioulière et tu t’enfonces dans les murs épais comme des mausolées de pharaons. Bon sang de bois, mais ou ils on trouvé toutes ces pierres pour construire de telles cathédrales ?
A gauche comme à droite, dans les barthes, les préfaces, les parros, les chaussinels ; tu vois des murailles rondes comme des poitrines et des ventres de femmes qui arrivent à terme, et c’est peut être pour ça que la nuit l’ombre de la lune les caresse.
La lune est friponne comme un garçon mal élevé, et d’ailleurs mon papette disait qu’il y avait Pierrot dans la lune, alors pas étonnant qu’il caresse la nuit le ventre des femmes murailles.
D’ailleurs, les femmes qui attendent, on dit qu’elles sont enceintes, et une enceinte c’est bien une muraille non ? Je suis sur que quand la sœur me criait dessus à la petite école « Diantre de diantre, mais celui là il est toujours dans la lune ! » elle voyait pas qu’en réalité je caressais en rêve des poitrines et des ventres de femmes de pierre prêtes à laisser venir la vie ; mais ça les religieuses le voient pas parce qu’elles n’ont jamais écouté pousser leur ventre.
Tiens d’ailleurs, de temps en temps, les bergers ont englouti une chazelle dans ces montagnes de pierre. Une caverne moite d’où sortira le petit de la femme muraille.
On est bien dedans, ça sent la terre chaude et rouge et ça protège du vent.
Bon, tu oublies la lune et tu continues ton chemin, tu dépasses la chèvre blanche, celle qui avait fait une belle peur à ce pauvre Antonin, et que même encore aujourd’hui quand la nuit s’approche, les passants qui connaissent l’histoire frissonnent en faisant un détour d’un mètre au moins devant le pas du pradou de Prieur.
Puis le chemin s’ouvre, les murs reviennent à ton niveau et tu commences à voir les pâtures, les murailles, les bartas, les herbes et les cannibals qui font les oreillettes. Un lapin qui détale et s’encllapasse en faisant rouler deux pierres et tu arrives à l’ayrette ou les poules grattent le foumeiro pour y chercher des vers.
Tu es à Correjeac, le village d’où est partie la peste. Enfin, quand on dit qu’elle est partie d’ici, c’est pas vrai, elle a commencé ici et elle y est restée un bon bout de temps ; il faut bien remettre les choses à leur place….
Ça c’était pour le chemin vieux.
On l’appelle aussi les chemin des morts parce qu’il était plus souple que le chemin neuf trop plein de cailloux, alors on descendait les morts par là pour pas qu’ils soient trop secoués dans le cercueil.
On faisait ça surtout pour la famille, puisque la famille, c’est la seule chose que les morts gardent après leur départ.
Bon, mais si tu prends le chemin du pied du bois, c’est pas la même chose. Le chemin suit le bois par le pied, le bois est en haut mais il s’arrête au pied du bois ; c’est un autre chemin.
Là tu vois les choses de haut ; enfin plutôt de la haut.
C’est par ce chemin qu’est arrivé la première fois cet homme qui aimait raconter le fil du temps qui passe. On l’appelait le passeur, le voleur de légendes, mais c’est pas le sujet bien que ça ait à voir avec le chemin puisque c’est par la qu’il est venu le jour où il a mis les femmes du village en colère avec son histoire de bergère endormie.
Ce chemin, tu peux le commencer par les deux cotés, comme tous les chemins, mais si tu le prends par l’ouest, tu prends moins de lumière dans les yeux parce que c’est chemin de traverse qui va juste du levant au couchant, et en plus si tu le prends dans ce sens, tu suis ton ombre et ça tient compagnie, surtout le soir.
D’ailleurs, c’est le chemin des ombres tant il s’ouvre sur la lumière de la vallée. A droite tu suis le bois et en tournant un peu la tête tu as tout le pays qui s’étale sous toi ; et pour peu que le temps le mène, tu y vois à perte de vue jusqu’aux contreforts de l’Aubrac.
Je me demande d’ailleurs d’où vient cette expression un peu bizarre. Comment peut-on y voir jusqu’à perte de vue? et à quel moment précis survient la perte de vue….Ça doit venir un peu comme le sommeil ou l’heure du loup, ce moment fugace qui se glisse entre le jour et la nuit et qui passe tellement vite que tu vois pas vraiment le moment de la bascule. Ça doit être un peu comme un rideau de pluie qui s’arrête pile au milieu de la route sans que tu comprennes pourquoi puisque du moment que tu te mouilles, il pleut sur le monde entier, et pourtant tu fais un pas et tu passes à travers la pluie où tu te mets au sec, selon ton humeur du moment ; on peut dire que tu es passé à perte de pluie.
Tu commences la bas aux quatre chemins, mais tous les chemins commencent là, à la croisée des autres, tu dépasses la baume de Cadoule et tu surplombes Paulhac en longeant le grand rocher des corbeaux jusqu’à la Roquette. C’est là que le pays s’ouvre et que le chemin prend toute sa dimension.
On appelle ça les pins noirs, c’est un peu la foret qui respire quand le vent agite les branches, tu t’arrêtes, tu écoutes, tu tournes le dos et tu regardes le village de Correjeac en bas, celui de la Peste qui a ravagé le monde en 1721.
C’est ce qu’avait fait cet homme qui racontait des histoires de bergères endormies. Il s’était arrêté là pour casser la croute, puis il s’était allongé sur le dos, avait tiré son chapeau sur les yeux et vas savoir s’il s’est pas laissé emporter par le temps ou le sommeil, en tout cas, il avait écouté la foret respirer. A coup sur qu’il dormait pas puisqu’il l’avait écoutée, sinon il l’aurait juste entendue, et c’est pas la même chose.
C’était de plus en plus fort, comme le souffle de cette bohémienne qu’il caressait l’autre jour sous le pont de Saint-Laurent d’Olt, au bord de la rivière. On sait pas quel jour, mais on comprend bien que des jours comme celui là ne devraient jamais finir.
Son souffle montait et descendait comme son buste cuivré qui dressait vers le ciel ses tétons couleur de terre. Bon sang qu’elle était belle ; et comme elle était offerte! Pas étonnant qu’il ait été tout retourné en voyant la bergère qui offrait son corps nu aux caresses du soleil. Pas étonnant non plus qu’il se soit fait engueuler en racontant tout ça aux femmes du village. C’est presque dommage de ne pas savoir jusqu’où une femme peut se laisser aller pour peu que le soleil lui donne raison.
C’est pas pour dire, mais ces choses on peut les faire avec les femmes, mais il faut pas leur en parler sinon elles se fâchent et te disent que c’est pas possible, que c’était pas elles, que tu te fais des idées. Comme si tu pouvais oublier ce qu’une femme peut te donner…
Mais revenons à notre chemin et parlons d’autre chose. Voila le Planet et le champ du bois. C’est là, juste en haut du chemin qui descend vers la vallée que l’abbé Moulin s’était posté à l’espère le fameux matin du lièvre et du renard. La c’est frais, c’est presque doux l’été et c’est glacé l’hiver parce que le soleil n’arrive pas jusqu’ici, ou alors trop tôt le matin, et ça suffit pas à lever la gelée blanche. En fait là, ça ne va jamais, ça doit être le point de déséquilibre du monde.
La tu prends tout droit, tu suis le pied du bois, tu te gardes de prendre la fourche à droite qui te mènerait sur le plateau et tu es pas là pour ça, tu es là pour suivre le chemin du piémont et rien d’autre. Tu continues, tu dépasses la petite mare des sangliers et te voila au roc de Juan, là ou soit disant est rentré un jour le serpent volant de Chaumazelle.
Là il y a un joli rocher, fort comme une montagne de Turquie. A deux mètres de haut, un trou s’enfonce dans le roc, mais peu de gens le connaissent car il est caché dans la broussaille du ventre de la femme montagne. Il faut savoir aller le voir, s’approcher doucement en se frayant un chemin dans les tiges d’érables et tout à coup il est là, offert comme une pécheresse. On raconte qu’il mène à un lac sous la montagne, et qu’il y a tellement d’eau que si la paroi de la montagne enceinte la libère toute la vallée sera engloutie.
On raconte toujours des histoires sur les choses qu’on ne connait pas, il suffit de se hisser jusqu’au trou et d’y entrer, il n’y a pas d’eau, juste de la terre et des plumes d’un faisan qu’un renard a trainé jusque là pour le dévorer tranquillement.
De toute façon, on ne peut pas aller bien loin dans le ventre de la femme montagne qui se protège en enserrant l’explorateur trop curieux dans les parois de sa cavité de pierre.
Il y a des chemins qu’on ne peut pas faire dans les deux sens.
Et puis il y a le chemin du Chardonnet, celui qui suit la rivière en partant du monument. On sait pas trop si c’est une route ou un chemin, de toute façon, une route c’est jamais qu’un chemin qu’on a couvert de goudron et de gravillons ; pour le reste il n’y a rien qui change puisqu’il mène toujours quelque part et qu’on le suit pour y aller.
Ce chemin, on dirait qu’il prend malice à suivre le bord de la rivière, pour s’abriter sous les peupliers : et du coup il joue avec la lumière. Il y a des milliers de bellugues de soleil qui scintillent en désordre entre les feuilles qui frissonnent sous le vent.
C’est un peu le chemin de la musique.
Su tu le prends par le bas, tu montes vers le moulinet en laissant le cimeterre sur ta gauche. Il y a des gens qui se signent en passant, histoire de se mettre bien avec les esprits avant d’aller les rejoindre le plus tard possible dans la galerie du temps passé. C’est pas loin de là qu’est arrivée l’histoire de ce franc-maçon qui s’est volatilisé au premier coup de minuit. C’est ce que les gens racontent en tout cas pour diaboliser ceux qui ne pensent pas comme eux.
Tu arrives au Moulinet et tu continues vers Marijoulet. Là c’est frais et humide à cause de la butte de Pietouls qui cache le soleil du matin, des peupliers qui cachent le soleil du midi et du roc de Rochalte qui cache celui du soir. Tu joues avec l’ombre et le soleil et c’est ce qui a donné des frissons à la jeune fille du chat noir et de la pièce d’or.
Là il y avait l’atelier de Cambuse, le menuisier qu’on aimait pas toujours voir venir dans les maisons parce qu’il venait prendre les mesures des défunts pour les mettre en bière. Il avait toujours l’air triste quand il faisait ça, mais quand il sciait des planches dans son atelier, ça sentait bon le bois chaud et il faisait des armoires magnifiques, des caisses de pendule, des lits et des bureaux pour l’école.
Je me souviens un jour de l’avoir vu scier des troncs de chêne au Moulin de Gineste pour faire une charpente à Correjeac. Il suait comme un gourg et la scie rugissait comme une lionne prise au piège quand elle mordait dans les billots.
Pour les cercueils, Il disait qu’il fallait bien que quelqu’un le fasse et ça lui faisait un travail de folie parce qu’il avait que deux jours pour faire. Après, il passait à autre chose, un lit, un berceau ou une porte de placard. C’est fou comme le bois se mêle à tous les temps de la vie de l’homme.
Si tu continues le chemin, tu passes Marijoulet et tu t’enfonces dans la vallée de Chardonnet, elle est de plus en plus sombre et humide parce qu’elle s’approche de la source de Resimplets, là ou l’eau sort entre les cuisses de la montagne .
Et puis il y a le chemin du Catelmas, de l’autre coté d’Auxillac, derrière Auxillac si tant est qu’un village ait un avant ou un arrière, et ça ça dépend de quel coté regardent les maisons. Mais bon, pour ceux qui ont l’habitude de regarder le village depuis le monument, alors le Catelmas c’est bien derrière, en tout cas c’est en haut et on ne le voit pas parce que c’est un plateau.
Ce chemin là, c’est le chemin des cailloux, d’où que tu le prennes, il y a des pierres qui te roulent sous les pieds à te faire perdre l’équilibre. Le plateau est sec, aride comme un ségala. De grands fantômes de châtaigner labourent le ciel de leur branches d’escogriffes. Des arbres centenaires creux, ouverts sur un coté à tel point qu’on ne voit même plus le moindre morceau d’écorce. Pourtant ils s’obstinent à lancer de nouvelles branches à partir de leurs troncs martyrisés et à faire des châtaignes que plus personne ne ramasse si ce n’est quelques sangliers de passage qui s’en nourrissent à l’automne.
C’est le chemin du plateau, des clapas et du soleil qui tombe en morceaux, et juste en dessous, à flanc de coteau, il y a les vignes qui elles aussi ont disparu depuis belle lurette. Les oustaguets s’effondrent un a un, les escaliers qui relient les rases sont engloutis sous les ronces. Ce chemin là, c’est celui qui marque le changement des temps. Il te fait pas passer d’un lieu à l’autre, il te donne juste une drôle d’impression de voyager sur les ruines du passé.
C’est ça aussi les chemins, et celui là non plus ne peut pas se prendre à l’envers….