Ces franc-maçons qui nous font peur
Posted on 23 février 2013 in Contes et légendes
Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge.
La circulaire d’instruction morale et civique de Jules Ferry ne passa pas comme une lettre à la poste, dans de nombreux territoires ruraux, comme à Auxillac où la commune avait d’ailleurs un évêque pour maire à l’époque de la construction de l’école laïque.
On sait aujourd’hui que la mise en place de l’école laïque, gratuite et obligatoire ne se fit pas sans mal. Des “instituteurs de combat” , véritables hussards noirs de la république furent envoyés dans toutes les communes avec pour mission de conserver l’école ouverte coûte que coûte.
Dans certaines communes de Lozère, les écoles laïques restèrent vides durant des années, mais les instituteurs, stoïques, continuèrent d’allumer le poêle et d’attendre les élèves.
Ils finirent par venir et les instituteurs furent petit à petit reconnus par la population, du moins une partie…
Je fus pour ma part scolarisé en 1963, à l’école des sœurs du village, ce n’était pas mon choix car j’étais un petit enfant, mais je respecte celui que d’autres firent pour moi. Je me souviens cependant que nos petits camarades qui étaient à l’école en face ne faisaient pas l’objet d’une grande considération par la partie la mieux pensante de la population. Ils étaient réputés grossiers, dissipés, païens…de véritables mauvaises fréquentations…
Dans ce contexte particulièrement tendu du début du siècle, les instituteurs furent vite assimilés à des franc-maçons, des êtres diaboliques, ennemis acharnés de l’église et dotés de pouvoirs maléfiques quand ils n’avaient pas tout simplement pactisé avec le malin en leur vendant leur âme.
J’ai entendu de nombreuses histoires de franc-maçons de la bouche de ma grand-mère, certaines se sont effacées de ma mémoire, mais quelques une y restent solidement ancrées…
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Disparu au douzième coup de minuit…
Il est tard ce soir d’avril, tard pour rentrer chez soi, de toute façon, un homme qui sort le soir rentre toujours trop tard. C’est en tout cas ce que se dit un habitant de Marijoulet qui s’en retourne chez lui. Ce soir, il n’est pas seul, un autre homme chemine paisiblement à ses cotés, une homme bien mis avec sa veste de moleskine et son chapeau de feutre noir.
L’homme n’est pas d’ici, mais il y travaille depuis quelque temps, il parle peu mais répond toujours quand on s’adresse à lui.
Il n’est pas du genre à s’occuper des affaires des autres, et d’ailleurs qu’aurait-il à dire? Il ne travaille ici que depuis quelques mois, avant il était en poste à Rodez. Les deux hommes se sont rencontrés au bistrot. L’un, célibataire y avait dîné, l’autre était venu y vider quelques verres pour célébrer une vente conclue quelques heures plus tôt.
Il avait cru comprendre que l’étranger était instituteur, un homme de la ville, mais ce n’était pas pour lui déplaire.
Comme ils allaient dans la même direction, les deux hommes décidèrent de faire route ensemble. Ils longeaient le ruisseau du Chardonnet. La lune était belle, ronde et pleine, claire comme un fanal. On y voyait comme en plein jour, on aurait pu tirer un lièvre comme une fleur, enfin presque. Le rounel de Chardonnet coulait paisiblement, bien plein comme il faut pour un printemps, que du bon pour les truites et les écrevisses…
Rendu bavard par l’alcool, notre homme parlait un peu de tout, mélangeait tout : les classes, le service militaire, la chasse, la pêche, le laitier, les communistes et tot aco. L’instituteur écoutait poliment, en souriant ou en hochant la tête selon les besoins du récit.
Arrivé à hauteur du Moulinet, l’homme pressa son compagnon de s’arrêter et tendit le doigt vers le sud, de l’autre coté du ruisseau. Un soir que je rentrais chez moi, je vous blague pas, ici, j’ai été poursuivi par des feux follets, des flammes qui me coursaient, et plus je trottais, plus elles me poursuivaient…Des âmes du purgatoire qui avaient besoin de messes, mais en attendant, elles m’ont fichu une belle peur.
Le maître d’école entreprit de lui expliquer que les feux follets n’avaient rien de surnaturel ni de diabolique, qu’il s’agissait tout simplement de phosphore issu du cadavre d’un animal qui s’enflammait “comme une allumette” au contact de l’air.
Minuit sonnait à l’horloge de l’église et l’étranger se retourna vers notre homme qui se demandait ce que des allumettes avaient à voir avec les âmes du purgatoire. Nous lui devons la suite de l’histoire.
“A minuit pile, comme sonnait le dernier coup, l’homme qui était là, en train de me parler comme je vous parle, m’a dit : Bon dieu que je suis étourdi, mais à cette heure ci, je devrais être en loge à Rodez… et il a subitement disparu, envolé, comme une duganelle”.
L’habitant n’a jamais voulu démordre de la version qu’il avait vue de ses propres yeux.
Chaque fois que j’ai voulu dire à ma grand-mère que mine de rien l’instituteur n’était peut-être pas tout à fait à jeun lui non plus et qu’il avait probablement tout simplement basculé dans le talus, elle m’a répondu que les franc-maçons faisaient commerce avec le diable, et que c’était lui qui était venu le chercher pour le mener la bas à Rodez se prosterner devant Belzébuth.
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Les bottes se redressent toutes seules.
Le petit hameau du Paven fait face à Auxillac en s’ étirant tout au long de sa ruelle principale qui était en fait autrefois le vieux chemin reliant Auxillac à Correjac, puis la Roquette et bien au delà vers la Canourgue.
Au milieu du Hameau, un chemin s’enfonce vers les Côtes, tandis que le chemin principal continue sa pente vers le fond du Paven, jusque au ruisseau et à la route qui mène à Auxillac.
Au milieu du hameau, il y avait autrefois une maison, une jolie maison de pierre calcaire avec des toits en chiens assis, une cour et une grange. On raconte que dans cette maison avait vécu un franc-maçon, c’est pourquoi sa ruine, démolie dans les années 60 pour laisser place ensuite à une battisse neuve, était hantée.
On raconte que la nuit, des bruits et des coups résonnaient dans la maison. Mais ce qui intriguait le plus les passants, c’est une vieille paire de bottes rangée dans un coin. Quel que soit le temps, la force du vent qui s’engouffrait par les fenêtres ouvertes, les bottes qui avaient appartenu au franc-maçon restaient debout.
Les enfants et les facétieux aimaient aller la journée faire tomber les bottes, prudemment, avec un bâton ou un jet de pierre ; mais le lendemain, les bottes étaient à nouveau debout et parfaitement alignées, comme au premier jour. On ne sut jamais qui venait la nuit remettre les choses en ordre…
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N’acceptez rien de cet homme!
L’école publique d’Auxillac était en fait située au Paven, au dessus de l’actuelle aunberge du Moulin. Elle fut construite en 1903, et, comme dans beaucoup de campagnes, connût un démarrage difficile.
On raconte qu’un instituteur qui habitait l’école ne ménageait ni ses efforts ni son temps pour attirer vers lui les jeunes enfants, et au besoin, leur donner des cours de soutien en soirée. A cette période en effet, beaucoup d’enfants n’étaient scolarisés qu’au plus fort de l’hiver, le soir ou le dimanche.
Le reste du temps, il fallait travailler, garder le troupeau, traire ou porter des seaux d’eau.
Les habitants du village voyaient d’un œil mitigé ces rencontres vespérales, mas le bonhomme inspirait une certaine confiance “ah, si ça n’avait pas été un franc- maçon…” soupiraient les grands-mères en prenant la précaution de coudre au revers de la blouse de leurs bambins une médaille du sacré cœur. Surtout les enfants, n’acceptez rien de cet homme, s’il vous donne des gâteaux ou des bonbons, ne les prenez pas. Dites que vous n’aimez pas ça ou que vous le mangerez plus tard, mettez le dans la poche et en sortant, jetez le vite dans les orties
On n’a jamais retrouvé le moindre bonbon ni la moindre miette de gâteau dans les orties qui bordaient le chemin de la petite école, mais certains enfants de familles démunies, pour qui la seule friandise était une orange et un carré de chocolat à Noël, ont gardé de ces moments d’apprentissage un souvenir au goût sucré.
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Vous serez trois fois maudits
J’ai souvent entendu parler d’une étrange histoire qui se serait passée au début du siècle dernier dans un village proche du notre, de l’autre coté de Chaumazelle.
On raconte que dans une maison, en haut du bourg, vivait un franc-maçon dont naturellement tout le monde se méfiait puisqu’il commerçais directement avec le diable.
On ne l’aimait pas, et d’ailleurs pourquoi aimer un suppôt de Satan qui s’évertue à convaincre son entourage que l’église abuse de la crédulité des plus faibles alors qu’elle ne se préoccupe que du salut de leur âme en prélevant un juste denier qui n’a pour objectif que de soulager leurs faiblesses humaines pour leur conserver une place dans le royaume des cieux. Bienheureux les plus démunis, les portes du royaume leur seront grandes ouvertes…
je ne sais pas si cet homme était instituteur ou médecin, mais je sais que quelque part la population qui craignait ses maléfices sataniques avait besoin de ses services. Ma grand mère, qui avait une demie-sœur dans le village prétendait que le diable venait la nuit l’agripper par les cheveux et le trainait dans la maison en le battant comme un fer blanc, à tel point qu’elle finissait par avoir pitié de son âme et avait fait dire quelques messes pour que le seigneur dans sa grande miséricorde libère ce pauvre homme de la possession du malin ; elle ne passait jamais à proximité de la maison sans serrer dans sa main une petite fiole d’eau bénite pour la jeter sur le malheureux au cas où il se serait un peu trop approché d’elle…
On raconte qu’au moment d’aller rejoindre le diable – le paradis lui étant définitivement fermé aux dires de ma grand-mère – l’homme avait fait défense formelle à son entourage d’ouvrir les volets et la fenêtre qui donnaient sur la cour, pas plus qu’il ne leur était permis de déplacer le moindre meuble dans la chambre de ses derniers soupirs.
Le temps est passé, et l’herbe a envahi la cour jusqu’à ce qu’un héritier se décide à faire grand ménage pour s’établir dans cette fort jolie demeure. Il nettoya donc la maison, ouvrit tout naturellement la fenêtre et rangea les meubles dans un coin pour rafraichir le plancher. Le lendemain matin, la fenêtre était fermée, les volets également. Tout était à nouveau en place dans la chambre mais les volailles de la basse cour avaient succombé à on ne sait quel mal qui les avait toutes emportées.
Les choses restèrent ainsi quelque temps, jusqu’à ce qu’il prit à nouveau l’idée au neveu de l’homme de rouvrir la fenêtre…Le lendemain matin, les deux juments de l’écurie voisines gisaient sur le sol les dents serrées comme des sécateurs.
On raconte que bien des années plus tard, la fenêtre fut a nouveau imprudemment ouverte, et que le lendemain, la fille cadette de la famille fut trouvée morte dans son lit…
Je n’ai jamais pu vérifier cette histoire, et je ne peux pas affirmer avoir retrouvé précisément la maison en question, bien que mes recherches semblent m’y avoir conduit…Ce que je sais aujourd’hui, c’est que le dernier homme a m’avoir raconté cette histoire y croyait dur comme fer. Ce qui me surprend le plus, c’est qu’il était enseignant à l’université, bon vivant et plein d’humour…
Il connaissait la maison qu’il n’a jamais voulu me montrer et m’a affirmé que jamais, depuis le début du siècle, la moindre brindille d’herbe n’avait poussé sur le tombe de l’homme qui avait maudit trois fois sa descendance.
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Le franc maçon qui va plus vite que l’éclair
Nous sommes en 1913, à peu de choses près si tant est que les choses à venir dans ce temps de rancunes puissent être prises à la légère…
A la Canourgue, c’est jour de foire. Depuis le matin, ceux qui sont venus pour vendre des fromages et du blé vendent des fromages et du blé, les autres vont et viennent, parlent, marchandent, débattent, échangent ou troquent tout ce que l’on peut trouver dans une foire.
On mange, on discute, on boit beaucoup…
Le nouvel instituteur du village d’Auxillac est là. Aujourd’hui, c’est repos pour lui, pas besoin d’allumer le poêle dans la douceur automnale. De toutes façons les élèves ne se bousculent pas dans la petite école publique, et pour cause ; le curé du village a proclamé en chère que ceux qui mettraient leurs enfants dans cette école du diable rôtiraient à coup sur dans les flammes de l’enfer.
Pas facile de gagner l’estime de la population, mais ce soir l’instituteur dîne à la Canourgue. Il fait beau, la lune est belle comme une bille de lumière…Une petite heure de marche suffira pour rentrer à Auxillac par le chemin des Vergnedes.
La patron de l’auberge, soucieux de la santé de ce client bien mis qui vient de la ville y va de son petit conseil “Il ne faudrait pas vous attarder, les nuits sont fraiches et la route difficile pour qui ne connaît pas le pays ”
“Ne vous inquiétez pas pour moi, je connais le pays ” lui répond l’instituteur qui a eu tout le temps de l’arpenter de long en large pour y chercher les précieux minéraux qu’il collectionne au Paven pour le jour où un élève voudra bien pousser la porte de la petite école de la république.
Un homme qui buvait tranquillement son dixième verre de vin à la table d’à coté éclate de rire “j’aimerais bien voir ça.” L’instituteur ne se démonte pas “je vous propose un défi, nous partons tous deux pour Auxillac par un chemin différent, et le premier arrivé à Marijoulet attend l’autre…enfin, disons que je vous attendrai la haut…”
l’homme, qui arpente les travers du pays depuis sa plus tendre enfance relève le défi, et les voila partis : l’instituteur par le chemin des Vergnedes et de la Roquette, et le berger par Montferrand. Ce dernier ne ménage pas sa peine et va donner une belle leçon à ce péquenot de la ville qui se croit plus fort que tout le monde.
Mais arrivé au Moulinet, notre homme déchante. L’instituteur est là assis qui l’attend sur une pierre “Comment diable avez-vous fait? ” lui lance t-il incrédule.
Personne n’a jamais su comment l’instituteur avait si rapidement relié le Moulinet, mais on raconte dans le village que cette nuit la les habitants avaient été réveillés par un vacarme de chaines, de roues de chars et de hennissements de chevaux ; c’était l’attelage du diable qui avait aidé l’instituteur franc-maçon à gagner son pari…