Gracias a la vida

 Trois heures de l’après midi, calle del correo à Queretaro, assis sur le renfoncement d’une boutique de sous vêtements féminins, un aveugle chante à tue tête : “Gracias a la vida”

L’homme est assis sur un seuil surélevé, le manche de sa vieille guitare portée haut vers le ciel, comme s’il offrait sa chanson à la lumière qui l’a fui.

Une boite de conserve accrochée à une ficelle élimée pend aux mécaniques de son instrument, sa casquette à petites carreaux noirs et blancs enfoncée jusqu’aux oreilles le protège des morsures du soleil. Singulière épreuve pour un aveugle de ne recevoir du soleil que la brulure dans cette rue fondante de lumière… Lui ne voit rien, il était juste fait pour vivre et il le dit, il n’était pas fait pour voir, pas né pour voir toutes ces choses et tous ces gens qui s’agitent dans cette rue.

Lui ne verra rien des gens qui passent, de ceux qui s’arrêtent et le regardent s’acharner sur sa guitare. Il ne verra rien des jambes des femmes qui arpentent le trottoir à sa hauteur, s’arrêtent pour regarder les sous-vêtements dans la vitrine ; et d ‘ailleurs qu’est pour lui un sous-vêtement? Il ne devinera rien de leurs formes, ne saura rien de leurs rondeurs, ne voudra rien de leurs attraits.

Il chante.Il chante fort, il chante haut, comme s’il fallait chanter maintenant, vite et de manière saccadée, comme un marcheur de l’infini qui doit arriver n’importe où, mais arriver.

Il chante, chante vite, chante fort, chante mal, transpire de chanter et agite sa guitare dans un rythme frénétique, régulier et brutal ; mais il sourit… Il sourit en chantant plus qu’il ne chante en souriant…Il a des choses à dire, il veut dire merci, le dire vite et le dire fort.

Gracias pour tout ce qu’il ne verra pas, ne verra jamais ou n’a jamais vu. Gracias pour la soleil qui tous les jours réchauffe sa peau Gracias pour les couleurs qui chantent dans sa tête comme des papillons et se mélangent dans des rêves incolores.

Gracias pour ces parfums qui lui disent la vie : parfums de douceurs, parfums de fruits, parfums de fleurs, parfums de femmes qui vont et viennent dans l’ombre de sa solitude.

Gracias pour ces rires d’enfants dont il ne saura jamais la taille.

Gracias pour tout ce qui passe devant lui Et qu’importe si la cébille s’emplit ou non de pièces de monnaie Il ne les entend pas tomber, et puis à qui pourquoi dire merci puisqu’il le crie déjà?

Gracias para todo, y gracias a la vida…

Guy Lévêque, Queretaro, aout 2012

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