Le chat noir et la pièce d’or
Posted on 21 février 2013 in Contes et légendes
Les chats noirs ont été de tous temps associés à des rituels diaboliques, incarnation du diable pour certains, compagnon des sorcières pour d’autres.
Les papes eux-mêmes n’hésitèrent pas à charger les pauvres bêtes, tel Grégoire IX (pape de 1227 à 1241) qui précise dans un édit que le démon prendrait la forme d’un chat noir, et que ses disciples lui embrasseraient les parties génitales pour ensuite se livrer à la débauche en participant à une orgie.
Plus tard, les templiers seront accusés lors d’un procès d’avoir eux-aussi adoré un chat noir.
Mais le chat noir qui vécut – et le mot n’est pas anodin – à Auxillac au début du siècle dernier ou plus probablement à la fin du XIXeme siècle, avait une bien étrange particularité. Si j’ai tenu à souligner l’importance du mot vivre, c’est que l’animal était, semble t-il, immortel.
Mais revenons pour quelque temps au début du siècle dernier.
C’est une après-midi d’automne, comme une autre, sans plus de vent ni de soleil que d’habitude, juste des couleurs. Les couleurs qui font aimer l’automne, les couleurs qui mettent le feu au travers de Rochalte.
Du rouge, du brun, du jaune…des couleurs qui éclatent comme les bélugues jaillissent du feu quand les grands-mères jettent dedans une poignée de gros sel pour chasser les démons et détourner le malheur de la maison.
Le jeune femme qui marche vers le hameau pour visiter cette lointaine cousine qu’elle n’a pas vue depuis tant de temps est songeuse. “C’est beau comme du feu, comme le buisson de Moïse, c’est Dieu qui parle dedans” puis elle ajoute en se signant “ou ça brûle comme le feu de l’enfer”. Elle frissonne, cette histoire de feu de l’enfer qui ne s’éteint jamais, du diable qui vous pique avec sa fourche et cette pendule qui balance à l’infini son sinistre “toujours-jamais” lui donnent la chair de poule.
Mais que vient faire l’enfer la dedans? Rien, la jeune femme se souvient du catéchisme ou de ce que lui racontait sa grand-mère, ou des deux en même temps.
Fort heureusement, voila les premières maison du hameau et la croix qui la protège de toutes ces mauvaises pensées qui l’assaillent. “Il fait bon mais les jours raccourcissent, il ne faudra pas m’attarder” songe-telle en contournant le four à pain pour se diriger vers la maison de son hôtesse. Le four a pain est tiède, on y a sûrement cuit ce matin des grosses miches pour la semaine, puis des fougasses dorées et des tartes pour le dimanche.
“Çà fait plaisir d’être attendue” se dit-elle en approchant de la porte entrouverte de son hôtesse, d’où fleure un bon parfum de café.
La femme qui l’accueille avec un bon sourire est âgée, son visage est marqué par les ans, ses cheveux soigneusement tirés en arrière sont enserrés dans un petit chignon clavé par une aiguille de bois. Ils restent étonnamment bruns pour son age, seuls quelques fils d’argent rappellent ça et là les assauts du temps qui passe.
Elle est légèrement courbée, comme ces femmes qui ont porté beaucoup de charges en sus du poids de la vie dans ces territoires loin des gouvernants, mais qui leur fournissent à volonté des enfants pour conduire leurs guerres.
Son tablier de devant à minuscules pois blancs sur fond gris recouvre sa falde noire, attaché dans le dos par une ganse d’une régularité parfaite. Des bas de laine gris enserrent ses jambes frêles mais toujours agiles, ses souliers sont fins comme des pantoufles, usés mais bien tenus. La compagnie de cette femme est des plus agréables.
La jeune femme regarde la grosse cheminée surmontée d’une poutre noire, les boites en fer blanc de taille décroissante qui renferment du café, des épices, du sucre ou de la farine. Au mur, face à la porte d’entrée, un chapeau de feutre gris, un fusil à broche et une gibecière de cuir marron rappellent que la vielle femme fut jadis mariée, mais les campagnes ont pour particularité de fabriquer des veuves. Plus loin, l’alcôve du lit et la soupente de l’escalier qui mène à l’étage.
Tout est propre et bien rangé, à sa place.
Les deux femmes s’assoient sur les deux gros bancs de châtaignier, de part et d’autre de la table de chêne et échangent des nouvelles des proches, des amis, des perdus de vue…
La vieille femme a fait une tarte pour accueillir sa jeune parente, une tarte aux pommes bien dorées, avec les reinettes tombées l’avant veille à cause du vent. Elle en coupe trois portions avec son grand couteau, dont une nettement plus importante que les deux autres.
La jeune femme, intriguée par cette découpe regarde machinalement un chat noir sortir de sous l’alcôve de lit et se diriger tranquillement vers la table. “pourquoi diable trois portions alors que nous ne sommes que deux?” se dit la jeune femme en regardant son hôtesse servir deux grands bols de café. Mais le chat monte d’un bond sur la table, s’empare de la plus grosse des trois portions et saute habilement sur le parquet.
La jeune femme se lève d’un bond, saisit le balai qui se trouve juste derrière la porte d’entrée et se dirige menaçante vers le chat qui se réfugie sous le lit. Alors qu’elle se baisse et s’apprête à glisser le balai pour déloger le chat voleur, la vieille dame l’interrompt : “Malheureuse, ne touchez surtout pas ce chat, il m’apporte une pièce d’or tous les matins”
Incrédule, la jeune femme se redresse et regarde son hôtesse qui la prend par le bras et la presse de s’asseoir avant de lui raconter son incroyable histoire.
Elle tient ce chat d’une lointaine cousine qui habitait dans le département voisin. “Un jour, on m’a dit que ma parente allait mal, qu’il était temps d’aller la saluer, ce que j’ai fait. La mourante était pâle et souffrait beaucoup, mais me tendit les bras en me demandant de l’embrasser, ce que je fis avec certes un peu d’appréhension, mais peut-on refuser un peu de réconfort à une mourante? bien sur que non”…
La vieille femme se tourna vers le chat noir qui était à nouveau sorti de son refuge : “Ce que je savais pas, c’est que ma parente ne pouvait pas mourir tant qu’elle possédait le chat, et il fallait pour s’en libérer qu’elle le transmette à quelqu’un en l’embrassant. Son entourage le savait et se gardait bien d’approcher malgré ses suppliques ; moi, je m’y suis faite prendre” .
“C’est diabolique…” frissonna la jeune femme en regardant le félin, “il a des yeux comme la braise!” “Ne croyez pas cela, depuis que je l’ai ramené dans un panier de chez ma parente, il m’apporte une pièce de monnaie tous les matins que Dieu fait… Çà fait des années que ça dure et je n’ai jamais manqué de rien” .
Il est vrai que, dans le pays, la vieille femme avait la réputation de vivre dans une certaine aisance…
A l’heure du départ, la vieille femme pria son invitée de ne rien dire de ce qu’elle avait vu, que ça ne lui apporterait que mauvaises choses et tracasseries. Le jeune femme rentra chez elle bien avant la nuit, en se retournant sans cesse de peur d’être suivie.
Elle ne tint pas sa promesse puisque l’histoire se raconte encore dans les veillées d’Auxillac. On sait que bien plus tard, la dame au chat noir tomba malade à son tour, mais les voisins et parents méfiants se gardèrent bien de l’embrasser.
C’est une petite cousine du département voisin de l’Aveyron qui, venant dire un dernier adieu à cette tante qu’elle ne connaissait pas, hérita du sortilège.
Les gens se souviennent l’avoir vue longer le ruisseau de Chardonnet pour se rendre au pont de Salmon avec son panier d’osier sous le bras.
Le chat noir s’en retournait vers le pays dont il était venu trente ans plus tôt.
Gwénael Mélé raconte cette histoire
vous avez écrit les suites de cette histoire