Il y a des fois.
Posted on 29 juillet 2015 in Un jour
Autrefois, Sophie travaillait dans une fabrique de vêtements pour hommes, des pantalons de travail, des bleus de travail, des vestes, des blouses, des tabliers, des tenues de travail complètes, des combinaisons, des salopettes.
Sophie travaillait pour les travailleurs qui ont la chance de travailler, et comme eux, elle aimait son travail, tout simplement. Entendons nous bien dans la fabrique des habits, Sophie n’aimait que son travail, rien de plus.
Ça, c’était avant que la fabrique voit ses commandes diminuer et décide de réduire son personnel.
Le matin au saut du lit, sauf le samedi, Sophie faisait aérer la chambre pendant qu’elle prenait sa douche, buvait son café, rangeait ses affaires dans son sac à dos, fermait la porte à double tour et prenait son vélo pour remonter vers la rue du Mont-Royal.
Parfois, quand les clients se font attendre dans son salon, Ava s’assoit pour un moment et se prend à revivre sa journée les yeux fermés, pour mieux voir à l’intérieur.
Le matin au saut du lit sauf le lundi, elle fait aérer sa chambre pendant qu’elle prend sa douche, boit son café, range ses affaires dans son sac à dos, ferme la porte à double tour et prend son vélo pour remonter vers la rue du Mont-Royal.
Le salon, les clientes, les rendez-vous du matin, les shampoings, les coups de peigne de dernière minute, le déjeuner avec Pierre, les rendez-vous de l’après-midi. Ava aime la vie, son travail, ses amies.
Quelquefois, Élisabeth se demande ce qui arriverait si elle était une autre. une employée de banque par exemple, ou une coiffeuse à domicile.
Tous les matins au saut du lit, elle ferait aérer sa chambre pendant qu’elle prendrait sa douche, boirait son café, rangerait ses affaires dans son sac à dos, fermerait la porte à double tour et prendrait son vélo pour remonter vers la rue du Mont-Royal.
Et d’ailleurs pourquoi sa douche? pourquoi pas tout simplement une douche? les douches n’appartiennent à personne, on ne prend pas la douche de l’autre, l’eau coule, on ne peut pas la retenir ou la posséder, elle file dans les tuyauteries de la ville.
Pour les affaires et le sac, on comprend, mais pour la douche le possessif est superflu, donc inutile.
De là à se dire que le temps de la douche est un temps impersonnel, il n’y a qu’un pas….
Des fois, Lauren s’arrête chez son amie Lauren, elle le sait, ça n’a rien d’ original d’avoir une amie qui porte le même nom que soi, mais bon, Lauren l’amie est pleine d’énergie, et puis Lauren l’aime secrètement, sans rien dire, sans qu’elle le sache.
Elle est un peu perdue parce que tomber amoureuse d’une fille, ça se fait pas bien dans la famille mais bon, elle fait rien de mal puisque personne n’en sait rien.
Lauren parle de sa journée. Le matin au saut du lit, sauf le dimanche, elle fait aérer sa chambre pendant qu’elle prend sa douche, boit son café, range ses affaires dans son sac à dos, ferme la porte à double tour et prend son vélo pour remonter vers la rue du Mont-Royal.
Lauren regarde Lauren, ses lèvres luisantes qui s’agitent pour raconter sa journée, ses seins tendus sous la chemise bleue qu’elle aimerait parfois prendre à pleine mains, ses hanches…Elle aimerait lui dire mais ne sait pas quoi dire ; il y a des choses qui ne sont pas plus faciles à dire entre amies qu’entre filles.
“Toutefois, en attendant mon retour, vous n’aurez qu’à rester chez vous.” Charlotte revoit son patron dans le bureau, cette menace à peine voilée parce qu’elle a refusé de l’accompagner en voyage d’affaires à Londres pour deux jours.
Que va t-il arriver maintenant?
Charlotte a mal dormi, on n’est que mardi et cette semaine lui semble interminable. Ce matin au saut du lit, elle a fait aérer sa chambre pendant qu’elle prenait sa douche, bu son café, rangé ses affaires dans son sac à dos, fermé la porte à double tour et pris son vélo pour remonter vers la rue du Mont-Royal.
Que faire quand on est dans un jour sans? Pousser une porte au hasard, celle du salon d’Ava, lui raconter cette journée d’hier en lui parlant dans le miroir tout en se disant qu’Ava est droitière et tient son ciseau de la main gauche, mais c’est la faute au miroir.
D’ailleurs si son parton se regardait dans la glace….
Tout à l’heure, Charlotte ira voir la conseillère pour l’emploi chargée de défendre les femmes victimes de harcèlement au travail.
Cette fois, Victoria a décroché ce contrat dans la librairie de ses rêves. L’entretien d’embauche s’est pourtant pas si bien passé que ça mais bon, elle commence demain son premier job sérieux.
Demain, ne rien oublier….Victoria a tout prévu : Sauter du lit de bon matin, faire aérer sa chambre pendant qu’elle prendra sa douche, boire son café, ranger ses affaires dans son sac à dos, fermer la porte à double tour et prendre son vélo pour remonter vers la rue du Mont-Royal direction la librairie.
Quelle drôle d’idée, son futur patron qui lui a demandé si elle faisait du sport, quels sont ses loisirs, si elle aimait la lecture, si elle tenait un journal personnel…C’est ma vie privée, ça ne le regarde se dit-elle avant de s’endormir.
“Une autre fois, j’aurai ma chance, j’en suis sure.” Laure a encore perdu au jeu ce soir, comme la plupart des soirs la chance a encore filé entre ses doigts, avec l’argent de la journée.
Demain, sauter du lit de bon matin, faire aérer la chambre pendant qu’elle prendra sa douche, boire son café, ranger ses affaires dans son sac à dos, fermer la porte à double tour et prendre son vélo pour remonter vers la rue de la petite patrie, celle du salon de massages pour messieurs.
Avec un peu de chance, et grâce à la générosité des clients, le soir elle pourra jouer, pour oublier ce travail qu’elle fait à longueur de journée sans l’aimer.
Il y a des fois, je vous jure
Montréal, aout 2015