Los escritores publicos de Lima
Posted on 21 février 2013 in C'est la vie
Cariña, je suis bien arrivé à la capitale, il y a beaucoup de monde dans cette ville, du bruit, de la fumée, ce n’est pas facile de s’habituer à tout ça, mais Pedro m’a bien accueilli et m’a payé un bon repas hier soir… Juanito, il y a bien longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles. Je pense souvent à toi, tu me manques tu sais. Carolina et Manu ne se sont jamais rencontrés, ne se connaissent pas, n’ont aucune raison de se connaître…et pourtant dans la tiédeur de cette matinée, tous deux vont partager avec Ana et Paco, deux écrivains publics, un moment de tendresse et d’amour dans la rue des escritores.
J’espère que tu vas bien la bas, seule avec la petite, je sais que tu es courageuse et que tu es la meilleure des mamans. J’aimerais tant être près de toi en ce moment, comme tout le temps d’ailleurs, tout près, comme quand on allait l’après-midi s’allonger dans la pente des Ouascas. Aujourd’hui, c’est samedi, le petit marché au coin de la rue est plein de gens qui vont et viennent dans tous les sens, ça donne un peu le vertige, et en tout cas, moi ça me fatigue, je me sens tellement loin de toi et de notre village. Tout ça me manque terriblement.
Mon Juanito, je te sens si loin et si près en même temps, j’ai un étrange sentiment, uns sensation bizarre, difficile à décrire, un peu comme si quelque chose nous liait l’un à l’autre…quelque chose qui part de la colline la bas derrière chez tes parents, qui monte par dessus la Cordilière et vient se poser sur moi. J’ai l’impression que tu es là, tout près, que je suis ce que tu fais, que je marche à coté de toi ; je crois qu’on est reliés.
Hier matin, je suis allé chez le coiffeur, pour présenter bien pour trouver du travail. Quarante soles, c’est beaucoup mais j’en avais bien besoin. Pedro dit qu’ici, il y a beaucoup de chômeurs, alors il faut mettre toute les chances de mon coté. Tu me diras, je ne sais pas écrire et je ne sais pas bien lire non plus, mais je suis courageux. Si je trouve vite un bon travail, je pourrai mettre de l’argent de coté et louer une maison pour te faire venir près de moi.
Ta sœur est gentille avec moi, mais on ne vit pas dans le même monde. Son mari, ses affaires, ses enfants, les clients au cabinet…Comme on est loin de la vie qu’on va vivre tous les deux quand je reviendrai au village. C’est samedi, je vais aller me promener au marché, puis sur la plaça de armas et j’irai dire une petite prière à Santa Rosita, elle veille sur notre amour, j’en suis sure. Hier je suis allée me faire coiffer, me faire belle pour toi quand tu pourras me voir. La bas, au marché, il y a des machines pour faire des photos avec une pièce de cinq soles, je t’en enverrai une la prochaine fois, comme ça tu pourras la regarder quand tu voudras, à chaque fois que tu voudras penser à moi.
Tu sais, souvent la nuit je me réveille en pensant à toi, surtout quand j’y pense trop fort. C’est difficile de dormir loin de toi, dans ce bruit, cette chambre pleine de courants d’air, les voitures qui font du bruit dans le virage dehors. Tu me manques, j’ai envie de toi complètement, envie de te le dire. L’écrivain public est gentil, il a dit que je pouvais tout lui dire, que ça passait juste par ses oreilles pour sortir par la plume, et puis qu’il oublie tout. Il m’a demandé comment je t’appelais quand on était tous les deux, je lui ai dit que des fois, je t’appelais Mariposa. Il a souri, et il m’a dit qu’il appelait sa fille comme ça. Tu vois, pas savoir écrire, ça empêche pas de pouvoir s’aimer, mais ça aide pas à se le dire.
C’est dur de pas savoir écrire, on peut pas tout se dire, en tout cas pas comme on voudrait, avec la force et les mots qu’il faudrait pour le faire. En ce moment, je me réveille souvent la nuit toute retournée en pensant à toi, j’aurais tellement envie de me laisser aller près de toi, entre l’éveil et le sommeil, dans tes bras, tes mains…Je me dis que la chance va tourner, que les choses vont s’arranger, que tu auras bientôt une permission pour venir me voir, et alors on se lèvera pas, on restera couchés toute la journée.
Il est onze heures, les pages sont pleines. Juste la place pour un baiser, l’enveloppe pour l’adresse. Carolina et Manu s’en vont doucement vers le bureau de poste en serrant dans leur main l’enveloppe qui porte leur amour. Ana et Paco tournent la page, jusqu’au prochain client : Un loyer impayé, un avis d’expulsion, un recours contre une décision, un jugement à contester, une demande de grâce…Ils sont juste là pour prêter leur plume à ceux qui n’ont pas eu le temps d’apprivoiser les courbes et les déliés pour coucher sur la papier les mots que d’autres se feront lire avec des ombres dans les yeux.