Nous sommes tous des migrants
Posted on 17 avril 2016 in Un jour
L’homme est-il sédentaire ou migrant ? La question se pose et la réponse semble évidente : Il n’est ni l’un ni l’autre. Tout au plus a t-il été plutôt migrant à ses origines où il suivait, pour se nourrir le déplacements du gibier et le rythme des saisons pour cueillir les fruits, puis plutôt sédentaire dès lors qu’il s’installera agriculteur ou cultivateur, mais s’il est une certitude, c’est que les deux se sont croisés souvent dans l’histoire, dans le compromis et la douleur, mais aussi en ayant fait le choix d’opter pour l’un ou l’autre de ces deux modes de vie.
Le terme « migration » a été utilisé pour décrire le mouvement de populations dans des situations et des contextes fort divers, dont l’invasion, la conquête, le déplacement sous la contrainte des armes, la fuite devant une catastrophe naturelle, le déplacement à des fins commerciales, l’établissement de colonies, voire même l’esclavage. A mesure qu’augmentaient les besoins de production des nouvelles colonies, l’apparition d’un type de migration totalement nouveau, le commerce des esclaves, a permis de remédier aux pénuries de main-d’œuvre.
A la lumière de l’histoire ou des mythologies, on a pourtant le sentiment que le sédentaire bénéficie d’une plus forte légitimité que le nomade. Caïn le sédentaire tuera Abel le nomade, Romulus tuera Rémus qui a franchi les limites de sa propriété, en l’occurrence Rome. Pour figurer ces deux modes d’être au monde, le récit généalogique et mythologique a fabriqué le berger et le paysan. Ces deux mondes se posent et s’opposent. Au fil des temps, ils deviennent le prétexte théorique à des enjeux métaphysiques, idéologiques, puis politiques.
Cosmopolitisme des voyageurs nomades contre nationalisme des paysans sédentaires, l’opposition travaille l’histoire depuis le néolithique jusqu’aux formes les plus contemporaines de l’impérialisme. Les bergers parcourent de vastes étendues, les troupeaux y paissent sans souci politique ou social – l’organisation communautaire tribale suppose quelques règles, certes, mais les plus simples possibles. Par opposition, les paysans s’installent, construisent, bâtissent, ils édifient des villages, des cités, ils inventent la société, la politique, l’État, donc la Loi, le Droit que soutient un usage intéressé de Dieu, via la religion. Mais je m’égare car nous ne parlons ici que de nomades, que nous supposons plus ou moins d’un même pays, mais ce terme a t-il encore droit de cité aujourd’hui ou s’amalgame t-il malheureusement avec le migrant, l’immigré et plus simplement l’étranger ?
Toutes les idéologies dominantes exercent leur contrôle, leur domination, voire leur violence sur le nomade. Les Empires se constituent toujours sur la réduction à rien des figures errantes ou des peuples mobiles. Le nazisme allemand a célébré la race aryenne sédentaire, enracinée, fixe et nationale, en même temps qu’il désignait ses ennemis : les Juifs et les Tziganes nomades, sans racines, mobiles et cosmopolites, sans patries, sans terres. Le stalinisme russe a procédé de la même manière, en persécutant lui aussi les sémites et les peuples de bergers des républiques caucasiennes ou sud-sibériennes.
Le nomade n’est pas du tout le migrant, car le migrant va principalement d’un point à un autre, même si cet autre est incertain, imprévu ou mal localisé, alors que le nomade ne va pas d’un point à un autre que par conséquence et nécessité de fait : en principe les points sont pour lui des relais dans un trajet.
Nous retiendrons donc le concept de migration comme étant « un mouvement d’individus ou de familles poussés par des raisons économiques ou sociales ». Le migrant n’est donc pas un nomade ; son projet n’est pas le mouvement mais tout le contraire : s’installer là où on est arrivé. Certains migrants ne se déplacent de quelques centaines de kilomètres et certains restent à l’intérieur de leur pays, souvent dans des conditions précaires. Ce sont alors des déplacés.
La migration, en effet, n’est en général perçue qu’à travers le prisme d’une actualité peu réjouissante : grèves de la faim, expulsions, racisme, traite des êtres humains, etc. Cette actualité a pour conséquence directe de renforcer la méfiance envers le phénomène migratoire en général, au détriment d’une réflexion de fond. Si les conséquences des migrations sont fortement médiatisées, peu de démarches sont entreprises pour rappeler leurs causes, et donc leur nature.
Or, à mieux y regarder, la migration fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité :Au fil des siècles,les hommes n’ont d’ailleurs pas été les seuls à se déplacer, les plantes et les animaux se sont déplacés en permanence aussi. Le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui est le résultat d’innombrables migrations. Tous les êtres humains actuels seraient issus d’une seule population vivant il y a environ 100 000 ans en Afrique de l’Est. Les premiers hommes ont ensuite migré et peuplé le reste du monde.
Nous sommes donc tous parents, descendants de migrants appartenant à une même espèce. Nos diversités physiques d’aujourd’hui sont le résultat d’une adaptation de nos ancêtres au milieu naturel.
Les nations-unies évaluent à plus de 200 millions le nombre de migrants pour les années 2000. Les causes sont diverses :
La migration du travail est est par nature difficile à évaluer compte tenu du manque de chiffres pour le secteur informel et des « clandestins ». Ces flux migratoires concernent environ 100 millions de personnes. Selon de récentes statistiques les principaux foyers de migration de travail se trouveraient en Inde et au Canada qui ont des politiques d’accueil à l’égard des populations. Nous sommes nous même, en Lozère, dans un territoire de forte migration : migration des Cévenols vers les mines d’Alès, migration des lozériens du Nord vers la capitale…
La migration permanente : Il s’agit de migrations forcées, c’est-à-dire non-volontaires. Ce sont par exemple les réfugiés politiques. Aujourd’hui, près de 45 millions de personnes (25 millions de réfugiés et 20 millions de déplacés à l’intérieur de leurs propres frontières) ont été obligés de fuir leurs lieux d’habitation pour des raisons religieuses, politiques ou ethniques. La multiplication des guerres, en particulier en Afrique noire, en Asie centrale et au Moyen-Orient, fait parfois vivre des générations entières dans des camps de réfugiés, souvent peu équipés pour accueillir ces populations.
Les gens se sont déplacés depuis toujours et continueront à se déplacer. Tant qu’il y aura des guerres et tant que les richesses du monde seront réparties de façon inégale, des personnes partiront à la recherche d’une vie meilleure. Si on ne s’attaque pas aux causes, les gens n’ont souvent pas d’autre choix que de se déplacer.
Nous sommes actuellement en train de faire de l’Europe une région fortifiée, avec des frontières fermées, des procédures d’asile lourdes et une politique de refoulement stricte. Mais même une fermeture radicale des frontières ne pourra pas empêcher l’immigration. Quand nous nous interrogeons sur la façon dont nous gérerons l’immigration demain, nous devons avoir le courage d’examiner le passé.
La société dans laquelle nous vivons aujourd’hui s’est construite grâce à des rencontres entre personnes venues des quatre coins du monde et grâce à l’intensité des échanges d’idées et de traditions. Et il n’en sera pas autrement dans le futur. Nous sommes le fruit de nombreux métissages. Notre monde est le produit des migrations et nous sommes tous des enfants de migrants. Mais quelle est cette logique d’une Europe qui ferme les portes aux migrants de la misère et ouvre en grand, au travers de programmes tels Erasmus, les portes du voyage à ses élites ?
La migration pour travail saisonnier : De nombreux pays (Espagne, Italie, France en particulier, pour l’Europe, USA pour l’Amérique du Nord…) utilisent une abondante main-d’œuvre saisonnière étrangère au moment de la culture ou récolte manuelle de certains fruits ou légumes. Ces employés sont parfois mal logés, mal payés et avec une couverture sociale imparfaite ou inexistante, tout en étant plus exposés aux pesticides et à diverses affection
Migrants et réfugiés écologiques : Selon les estimations, 50 à 500 millions de personnes pourraient migrer d’ici à 2050 sous l’effet des inondations, de la dégradation des sols, des catastrophes naturelles, de la déforestation, de la construction de grands barrages ou d’accidents industriels.
Pourtant, le statut de ces personnes, appelées aussi réfugiés de l’environnement ou éco-réfugiés, n’est pas encore reconnu dans le droit international. Les pays à l’origine de ces troubles auront-ils d’ailleurs le courage de le reconnaître ?
« Christian Aid, » organisation humanitaire britannique, dans un rapport intitulé « Marée humaine, la véritable crise migratoire » émet un avertissement sur le rythme d’accélération des déplacements de population au 21e siècle, et qui pourrait concerner un milliard de personnes d’ici 2050, en raison du changement climat, mais aussi des conflits et des grands projets.” Ce même rapport précise que d’ici 2080, ce sont entre 1,1 et 3,2 milliards de personnes qui manqueront d’eau et qu’entre 200 et 600 millions de personnes souffriront de la faim.
Pour répondre aux migrations, on peut toujours se replier sur soi même. Les conquistadors sont loin, et pourtant Il n’est pas inutile de rappeler que depuis 1991 27 000 kilomètres de nouvelles frontières ont été tracés, et 18 000 kilomètres de murs sont en construction…. 50 ans après la construction du mur de Berlin, les hommes continuent à s’enfermer sur eux-même en se coupant de leurs semblables. Les capitaux, eux, n’ont pas de frontières et continuent à migrer au gré des vents favorables à la spéculation.
Je ne peux terminer cet article sans rappeler qu’en février 2011, à Gorée, lieu hautement symbolique des migrations forcées, a été proclamée la charte mondiale des migrants; en voici la première phrase : “Les personnes migrantes sont les cibles de politiques injustes. Celles-ci, au détriment des droits universellement reconnus à chaque personne humaine, font s’opposer les êtres humains, les uns aux autres en utilisant des stratégies discriminatoires, fondées sur la préférence nationale, l’appartenance ethnique, religieuse ou de genre.”
Tout être humain doit se souvenir qu’un migrant est en quelque sorte différent d’un immigrant, qui lui est amputé d’une partie de son humanité, ses droits fondamentaux sont bafoués, à la liberté on oppose les restriction de circulation, à l’égalité on oppose le droit du sol, et parfois le droit du sang. A la fraternité on oppose une mainmise sur les richesses compensée par une charité obscène.
Et puis il y a le réfugié celui qui fuit la violence et les persécutions ; Près de trois million d’entre eux se sont pressés en 2016, aux frontières de l’Europe.