Le monde des silences
Posted on 29 juin 2017 in Dormir debout
Ah le silence, qu’il est difficile de le suivre dans les pas feutrés de quelques philosophes et poètes qui l’ont évoqué ou se sont purifiés aux sources de ses eaux.
Il y a le silence que l’on fait en soi pour réfléchir, avant toute parole, le silence que l’on fait pour écrire, le silence support de l’écoute qui fait exister la parole de l’autre.
Il y a le silence intérieur de la médiation, le silence mystique, mais aussi le silence de Dieu, principal argument retourné contre lui et qui nous laisse sans explications dans la souffrance et l’abandon, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour celui qui est Logos, c’est-à-dire « le verbe ».
Mais peut être est-ce ce silence qui permet la création, du moins pour le prophète Daniel qui affirme que la création serait le silence même, ou le retrait du verbe créateur.
Le bruit de la vie ne peut jaillir que du silence.
On peut encore ajouter au brouhaha des mots qui lui donnent un corps le silence du non-dit, le caché, le tu, l‘absence d’écrit de celui qui est parti, le silence de la peur, le silence imposé, le silence des opinions dans les dictatures, le silence de ceux qui sont sans voix, le silence du résistant, le silence pesant des secrets de famille, celui de l’adolescente à qui l’on a volé l’innocence, et celui plus heureux de la complicité, …
Le silence, c’est un message de l’ombre, une question posée à la question, une improbable promenade dans ce monde où l’on entend errer l’âme du bruit.
Il y a le silence de la nuit…C’est fou ce que la nuit fait du bruit, c’est un peu comme l’univers. La nuit est une cacophonie, un capharnaüm de bruits qui viennent de nulle part. Tout fait du bruit pour donner corps à ce silence, les animaux, les toits des maisons qui dorment, les bois, les sources, les feuilles, les insectes, le givre, le brouillard, la foret, les arbres qui poussent…
Le silence, ce mystérieux complice du bruit qui nous nourrit de son discours qui ne consiste pas à fermer la bouche ; au contraire. Il nous libère de l’asservissement des mots en nous laissant le conquérir, et comme le disait Musset, notre bouche garde le silence pour écouteur parler nos cœurs…
Le silence, c’est la dernière richesse des malheureux, le défi à la vie de ceux qui souffrent avec lui. Rappelons nous de la mort du Loup d’Alfred de Vigny. « A voir ce que l’on fut sur terre, et ce qu’on laisse, seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse.»
Le silence, c’est le dernier acte d’amour de la veuve du pêcheur, qui, sentant les ailes de mort se déployer sur elle se déshabille sans bruit pour ne pas réveiller ses deux petits enfant endormis et les protéger du froid en les couvrant de sa mante. «…afin que dans cette ombre où la mort nous dérobe, ils ne sentissent pas la tiédeur qui décroit, et pour qu’ils eussent chaud pendant qu’elle aurait froid»
« C’est seulement lorsque vous boirez à la rivière du silence que vous chanterez vraiment » dit le prophète..
Le silence, c’est aussi aussi ce prélude à l’amour que Victor Hugo suggère plus qu’il n’évoque dans Booz endormi. « c’était l’heure tranquille où les lions vont boire.»
Si le silence était un ange, l’écoute et la parole en seraient ses deux ailes.
Le silence, c’est aussi le moyen d’écouter le le cœur de l’autre quand il ne dit rien, car en amitié comme en amour , toutes les pensées, tous les désirs, toutes les attentes naissent et sont partagés sans mots, dans la tiédeur d’une attente apaisée.
Alors, le silence c’est cet éclair de douceur dans le regard de deux êtres qui n’ont pas besoin de mots pour dessiner sur la toile du désir l’esquisse de leurs étreintes à venir.