Où il est question de pendules
Posted on 21 février 2013 in Contes et légendes
De tous temps, l’homme a entretenu une bien étrange relation avec les pendules.
Obsession de mesurer le temps qui passe et d’en pointer chaque avancée?
Fascination pour le mouvement du balancier qui lui donne une impression d’équilibre?
Assurance tranquille d’un retour régulier des choses par la régularité des cycles?
Présence rassurante du Tic tac pour occulter le vide du silence…
Dieu sinistre, effrayant, impassible, dont le doigt nous menace et nous dit “Souviens-toi!” Les objets du temps, horloge, montre, réveil, ont toujours été très chargés de symbolisme parce que les hommes ont projeté sur l’horloge tous leurs questionnements par rapport au temps, celui qui lui est imparti, de l’époque à l’heure, l’immédiat, le début ou la fin, l’avant-l’après, l’éternité, et par extrapolation philosophique, l’anonymat ou la postérité.
Le temps, cette limite dans la durée qui nous oppose avec le monde de l’au delà, celui de l’éternel. Ce temps que certains ne peuvent pas donner, que d’autres ne veulent pas prendre, ce temps qui est devenu une monnaie de singe dans le grand marché de dupes de la course à la croissance infinie dans un monde fini.
Les superstitieux n’aiment pas voir une pendule arrêtée. Il y voient une paralysie complète, le gel de leurs projets. De même l’homme, fortement ancré sur le compas de ses deux jambes, n’aime pas voir une horloge cassée qui symbolise la malheur et la perte d’équilibre. Les chrétiens se sont emparés de la symbolique de la pendule pour matérialiser leur peur du vide et leurs interrogations face à l’éternité. Dans l’enfer, nous grand-mères affirmaient qu’il y avait une pendule dont le balancier scandait “Toujours’ jamais», ce qui voulait dire “Tu resteras ici pour toujours, et jamais tu n’en sortiras» .
La pendule qui marche toute seule.
Il y avait dans le petit village de Correjac, une maisonnette tranquille, avec sa petite cour entourée de murets de calcaire.
Des murets à hauteur de hanche d’homme, des murets dont on sent bien en les regardant qu’ils n’étaient pas fait pour tenir l’autre à l’écart, mais plutôt pour lui permettre de s’assoir dessus pour parler quelque temps de la pluie et du beau temps.
Une maisonnette comme il en existe beaucoup sur les causses ou les piémonts, avec ses murailles épaisses et ses petites fenêtres qui donnaient cette impression permanente d’obscurité.
Ces maisonnettes se rassemblent toutes, car elles ressemblent au pays qu’elles décorent. Elles sont faites de ses ressources naturelles ou de ses manques, selon que domine le bois ou la pierre. A Correjac, la pierre est omniprésente, dans les chemins et les pâtures, et il est donc tout naturel d’y trouver d’épaisses murailles et des toits en platugas de calcaire qui chargent et consolident les voutes qui les portent.
Ces maisonnettes sentent le feu de bois et le pain qui attend dans le tiroir de la grosse table.
On raconte que dans cette maison, il y avait autrefois une pendule qui ne marchait pas, et qui d’ailleurs n’était pas en état de marche car un horloger avait dit qu’il manquait une pièce.
Cette comtoise restait là, parce que c’était sa place et que dans les maisons, il n’est jamais bon de changer les choses de place. Cela peut paraître étrange aujourd’hui où chez les humains la règle devient la mobilité et où l’éphémère et le jetable ont pris le pas sur le durable. Les hommes déménagent, vont et viennent en abandonnant les objets inutiles, mais autrefois tous les objets étaient utiles parce que les hommes en avaient besoin, et, dans ces campagnes rudes, il ne leur serait jamais venu à l’idée d’acheter un objet superflu ou de se séparer d’un objet qu’ils jugeaient encore utile parce qu’il leur rappelait une personne ou un moment de sa vie.
l’horloge restait donc à sa place, près de la fenêtre et face à l’alcôve qui abritait le lit de la vielle dame. Il m’est arrivé d’enter dans cette maison, tantôt pour y accompagner un adulte y venant boire le café, tantôt pour répondre à l’invitation de venir prendre une tartine ou un bonbon, car la dame qui habitait là était d’une grande gentillesse et les enfants du village aimaient bien sa compagnie.
L’horloge n’était plus là et on ne sait pas ce qu’elle était devenue, mais la vieille dame nous racontait qu’autrefois, toutes les nuits, cette horloge sonnait les douze coups de minuit et que son balancier se mettait en mouvement pendant un minute.
Mireille Granjean raconte cette histoire
___________________________________________________
La fillette sur la pendule au premier coup de six heures.
Le milieu rural a une particularité, c’est qu’il foisonne d’histoires incroyables et que ces histoires trouvent toujours leur source autour des mêmes familles.
Il est difficile aujourd’hui de mesurer la véracité de ces dires sans remonter aux sources même de l’histoire, et ce n’est pas l’objet de mes propos puisque nous sommes dans un voyage initiatique au plus profond de l’imaginaire local et de ses dérives, mais je continue à croire que toutes ces légendes ont pour fondement une forme de haine pour des personnes dont on acceptait pas qu’elles suivent une autre route que les braves gens qui n’aiment pas que….
On raconte que, dans un petit hameau de la commune, une fillette avait un comportement des plus étranges.
Elle semblait avoir une forme de pouvoir sur les oiseaux et certains animaux, dont les reptiles, mais ce n’était pas là ce qui étonnait le plus son entourage. On prétend que lorsque sonnaient six heures du soir, et sans que l’on puisse comprendre ce qui se passait, la petite fille était soudain “transportée”, pour ne pas dire “téléportée” sur la pendule de la salle commune.
On raconte qu’un jour, les hommes du village, intrigués par cette diablerie, décidèrent d’en avoir le cœur net et de mettre la fillette sous surveillance. Ce n’étais certes pas la première fois que l’on tentait l’expérience, et on avait déjà essayé d’observer la fillette et de comprendre ce qui arrivait, mais les femmes et les hommes de nos villages ont tous leurs faiblesses, et malgré leur bonne volonté, les guetteurs de l’insolite arrivèrent toujours trop tard pour observer le phénomène : la fillette était la haut, sur la pendule, tel un coucou de six heures du soir dès le premier coup de l’horloge.
Il était temps d’en finir avec cette histoire sans fondement qui faisait parler les voisins et jetait le discrédit sur une famille, sans compter que telles diableries ne pouvaient qu’être, pour les plus crédules, l’œuvre du malin.
Les habitants du hameau échafaudèrent donc un plan de bataille pour comprendre le phénomène. Il s’agissait de mettre à profit un moment important de la vie du village, à savoir la tuaille du cochon, pour observer le comportement de la fillette, l’occuper, et essayer de comprendre le phénomène de six heures du soir.
Une réunion de crise avait été organisée la veille, et chacun connaissait le rôle qu’il devait tenir en accroissant sa vigilance quand sonneraient cinq heures et demie du soir. Tout était prêt, et cette fois, on avait l’assurance de connaître l’origine du phénomène.
De bon matin, les hommes avaient tué la bête, et avaient répartie sa dépouille aux différentes destinations que l’humain réserve à l’animal qui lui donne le meilleur de lui même. De cochon, bougre de porc ou garce de caille, l’animal sacrifié allait devenir saucisse, boudin, saucisson ou fricandeau pour régaler son éleveur.
Les femmes étaient allées laver la tripe au ruisseau, pendant que les hommes déjeunaient à la sanquette et au vin de la vigne vieille, puis vint le temps de trier les viandes, racler les pieds, faire le boudin, mettre les jambons au sel, et passer la viande à la machine. Un travail d’hommes forts que font les hommes forts, car la viande est dure et il faut des muscles et quelques bons canons pour mouliner le gras du cochon. A midi, on avait expédié le morceau de “pourquet” garni des légumes qui l’avaient accompagné dans sa cuisson.
Les enfants avaient eu de fines tranches de la “truchette” accompagnées de pommes rôties. Un vrai délice… L’après-midi s’était doucement étirée entre les ordres brefs, les rires et les boutades. On s’accordait tous sur le fait que la carbonnade serait bonne puisqu’il faisait un froid de canard, que le lune était bonne et que la viande avait caillé comme il faut. La nuit arriva doucement, comme avançaient les aiguilles de pendule.
On avait donné à la fillette un rôle privilégié, celui de tourner la manivelle de la machine pour ensacher la saucisse. Ainsi, on la savait occupée à quelque chose qui passionne tous les enfants. S’il y a une chose qui sème facilement la zizanie dans les fratries, c’est bien la charge de tourner la manivelle pour l’ensachage des saucisses.
C’est une lourde responsabilité, l’occasion pour l’enfant de montrer à la femme qui dévide la tripe qui enfle de chair entre ses mains qu’elle peut lui faire confiance. Du rythme de la manivelle et de la fermeté de la main qui tient la saucisse dépend sa qualité, ce que ne manquent pas de faire remarquer les hommes goguenards aux femmes embarrassées par leurs sous-entendus.
Le fillette s’en sort bien, et l’aiguille de la pendule avance tranquillement vers l’heure fatidique. On parle, on discute, on veille au grain tout en feignant de ne pas le faire. Les hommes blaguent, les femmes s’affairent à mettre le pâté dans les bocaux pour les ranger dans la grande lessiveuse où ils devront bouillir une partie de la nuit. Dans son coin, la mamé épluche les “giscoundettes” et les oignons qui accompagneront le boudin du souper.
Les chasseurs connaissent bien ces moments d’attente où l’on sait qu’il va se passer quelque chose, que cela va se passer très vite et qu’il faudra agir très vite. C’est un moment de tension extrême ou tout relâchement peut s’avérer fatal. La longueur de l’attente, l’insolite de la situation, la part d’inconnu dans le futur immédiat…Tout peut basculer d’un coté ou de l’autre, générer des illusions d’optique ou tout simplement faire baisser l’attention pour un instant.
C’est surement ce qui arriva ce jeudi. La femme qui ensachait la saucisse demanda soudain à l’enfant qui tournait la manivelle “Mais pourquoi tu arrêtes?». Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, le premier coup de six heures venait de sonner et tout le monde se tourna vers la pendule ; la fillette était assise dessus et comme le disait ma grand-mère, personne n’avait rien vu.
Lorsque je disais à ma grand-mère que les choses n’étaient peut-être pas si simples que ça, et que finalement, cette fillette était certainement devenue une femme ponctuelle, “à cheval sur les horaires”, cela ne la faisait pas rire du tout car, dans cette histoire comme dans toutes les autres qu’elle racontait, il y avait des témoins au dessus de tout soupçon qui, une fois de plus, étaient bien là et avaient bien vu qu’ils n’avaient rien vu.
Adrien Pérez raconte cette histoire