Jeux de lumière à Santa Luzia

Il joue avec le soleil parce qu’il n’a plus le temps de jouer, ni plus de temps pour jouer.

Il fait des choses sérieuses pour chasser l’obscurité.

C’est un dompteur de lumière, il la capture, l’emprisonne dans une chambre obscure, la libère pour un temps, puis capture à nouveau son reflet pour en faire une nouvelle pièce de lumière.

Il sait bien, lui, que la lumière est indomptable ; depuis tant de temps…

Il sait que la lumière, c’est un peu de temps, un temps de vitesse, un temps qui révèle des choses de temps en temps, puis les masque quand les ombres de la nuit les ramènent vers la terre.

C’est aussi pour ça qu’il n’aime pas la nuit, celle du dehors qui le hante et réveille ses douleurs.

L’autre nuit, celle de dedans la chambre de son sténopé, c’est autre chose, c’est une nuit complice, une frangine en noir, celle qu’on appelle bonsoir ; un nuit à sa portée, une nuit qui distille la lumière du jour pour graver sur le papier un ballet d’ombres et de lumières.

Il sait depuis le temps que la lumière ressemble à sa vie. Au petit matin frêle et fragile, elle perce doucement les ténèbres, puis s’enhardit a se mettre debout, et commence à projeter des ombres, tout en ne percevant qu’une partie des choses dont elle ne voit qu’un coté. Les enfants ne voient que ce qui est devant eux ; à quoi bon se retourner…

Elle monte sans soucis dans la tiédeur d’une matinée douce comme l’enfance, puis elle s’affirme et commence à rayonner, à produire des effets sur l’environnement.

Elle voit et prend les choses de haut. Là les hommes commencent à s’en protéger, certains s’en méfient, d’autres s’en détournent ou s’en abritent. Vient ensuite le temps où elle commence à perdre du terrain, sa vigueur s’émousse, elle baisse d’intensité, glisse doucement vers le couchant pour ne laisser pour souvenir que le reflet de son passé irisé dans les étoiles.

La lumière est un peu comme un renard qui serait différent des autres, elle est difficile à apprivoiser car elle suppose le respect de rites, et dès lors que l’homme croit avoir atteint son objectif, vient le temps de la mort, celui de danser nu dans la lumière.

Un jour, un passant nonchalant au regard chargé d’ennui lui a dit qu’un photographe devait toujours avoir un objectif dans sa vie

C’est un peu ça avec son sténopé. A Viano do Castelo, le vieil homme de Santa Luzia  vole des bouts de lumière pour en faire des jeux d’ombres de papier. D’ailleurs il ne vole pas, il prend juste pour un temps parce qu’il sait que la sainte saura le pardonner.

Santa Luzia, le femme de lumière.

Bien sur, il y aussi Lucifer mais pourquoi le craindre?  Lui ne fait rien de mal si ce n’est de temps en temps de crier après les ombrageux qui se mettent entre le soleil et son sténopé, un petit cri de douleur pour sauver son travail, mais c’est juste pour bien faire, trouver la bonne lumière au bon moment pour jouer sur le papier la bonne partition, et quelque fois  le temps presse.

Il y à là deux jolies femmes qu’il aurait peut-être aimé aimer, un couple qui s’en va dans une voiture des temps révolus, un homme qui pose seul au pied des escaliers en attendant un coup de téléphone de Maria.

Il y a là deux femmes, peut être deux sœurs, des cousines ou des amies qui entourent une petite fille qui a mal au ventre le lundi matin à l’école.

Il y a cette famille qui veut garder un souvenir de ce temps béni où tout allait pour le mieux.

Il y a ces quatre copains qui reviennent du service militaire, et ces deux là qui s’embrassent sans voir le temps qui passe.

Et puis il y ces jeunes mariés venus se dire oui dans le sein de la basilique.

Lui ne sait pas ce qu’ils sont devenus, où ils sont allés, s’ils s’aiment encore, s’ils ont eu des jumeaux et une maison avec un joli balcon.

Il sait rien de tout cela, il sait que le temps passe, que la lumière fatigue ses yeux sur le parvis qu’elle inonde de rayons.

Cliquez pour agrandirLe sténopé est lourd, le déplacer le déséquilibre.

Le voila qui titube,  cherche un semblant d’équilibre sur un sol qui n’est plus tout à fait ce qu’il était pour ses jambes fatiguées.

Il parle peu mais vrai, guide, invite, rassure comme un allumeur de réverbère fidèle à sa consigne ; celle de fixer sur le papier des moments de bonheur.

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