Robert

Il serait bien prétentieux de vouloir résumer une vie en quelque lignes en laissant les parques dérouler le fil du temps aux caprices de quelques dates.

Résumer un homme à son inscription dans le temps revient à en faire une simple poussière d’étoile, mais un homme, c’est autre chose. Un homme est la somme de son être, il n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie.

Et que dire Robert de ta vie si ce n’est qu’elle s’inscrit dans une autre dimension, une plénitude faite de générosité, d’amour, d’engagement, de labeur, de courage et de bienveillance.

Paysan, tu l’es dans l’âme, je dis bien « tu l’es » car un paysan ne meurt pas, il se fond avec la terre dans une jachère prometteuse des récoltes à venir. Je dis « paysan », car tu en es un vrai, dans toute la plénitude que peut porter un mot, un mot plein comme un grain de blé des moissons de Boaz dans les plaines de Bethléem. Tu le sais bien toi, que si le grain ne blé ne meurt pas, il ne pourra pas sortir de terre.

Jules Renard disait, « un paysan, c’est un tronc d’arbre qui se déplace ». Il y a un peu de ça dans toi, des racines, mais pas des racines figées, non, juste de la force qu’on prend un moment à la terre, comme Antée, ce géant de l’antiquité, pour la lui rendre un jour. Et puis arbre parmi les arbres, tu sais qu’on peut communiquer au moyen de ses racines.

Dans leur grande sagesse, les indiens d’Amazonie ne disent pas « Je suis sur terre », ils disent : « Je suis de la terre » Ils disent aussi « Si je griffe trop fort le dos de ma mère, si je brise les os de ma mère, si j’arrache les cheveux de ma mère, si je répands du poison sur la peau de ma mère ; Pourra-telle un jour me reprendre en son sein ? ».

Toi, tu as toujours labouré la terre à sa juste profondeur, parce qu’il ne fallait pas la blesser ni l’appauvrir. Tu savais que si un clapas était là, patiemment érigé au milieu de quelque part, c’est qu’il avait un rôle, qu’il servait d’abri à des êtres vivants, tu n’as prélevé que les arbres dont tu avais besoin, et tu as toujours refusé de répandre des poisons sur les terres de tes ancêtres parce,que, comme le disait Saint-Exupéry, tu dois la rendre un jour pure et fertile à tes enfants.

Oui Robert, comme ces hommes de la terre, tu as suivi à la lettre tous ces préceptes, comme ça, naturellement, parce que quelque part on naît paysan bien plus qu’on le devient, alors maintenant, la terre, ta mère, t’a repris en son sein, tu as retrouvé blotti contre elle le sommeil des nouveaux nés, avec une petite nuance, le sommeil des nouveaux nés apaise, celui que tu connais maintenant délivre l’homme des blessures du temps.

Pour toi, il y avait quelque chose de sacré, mais plutôt pour vous, Thérèse et toi, c’était l’accueil. Cette maison de Correjac toujours pleine de monde, jusqu’à pas d’heure. Vous avez su prendre le temps, mais le prendre pour les autres, en fait, vous ne l’avez pas pris, vous l’avez donné. Vous avez su écouter les gens comme vous avez su écouter la terre, sans les brusquer, comme des jardiniers de l’amour.

La terre a produit, les fruits ont mûri, les gens ont grandi, ce fut une saison bien remplie. Vous avez accueilli des gens venus de partout, famille ou pas, proches comme étrangers bienvenus comme autant d’invités au partage de la vie.

A l’heure ou sous le terreau de la bêtise se préparaient à germer les graines de l’indifférence et de la haine de l’étranger, vous aviez tout compris de cette phrase de la bible : « N’oubliez pas l’hospitalité; car en l’exerçant, quelques-uns ont logé des anges,sans le savoir». Toi le paysan, tu avais en toi quelque chose de l’Auvergnat de Brassens.

Qui pourrait oublier ces soirées interminables des années 70, ces « bourrus » à qui les gens fermaient leur porte sans même vouloir les connaître. Au contraire, comme Max Yasgur, le fermier de Woodstock, vous la leur avez ouverte, vous les avez accueillis, partagé avec eux le pain et le fromage et passé du temps à entendre leurs rêves et leurs utopies.

Peut-être voulaient-il simplement les confronter à votre sagesse, et je n’en connais pas à ce jour un ou une qui, en quittant la maison à la porte bleu fané ne vous ait pas bénis pour ce moment partagé autour de la grande table de ferme.

Et puis, il y a l’engagement, celui d’un élu qui pendant des années s’est mis au service de sa commune. On sait quelle part d’ingratitude peut faire naître un tel engagement, mais on sait aussi  la part du plaisir que peut procurer un tel mandat.

Écouter et entendre, porter la parole, représenter, contenter, réconforter, se démener, agir et décider, donc prendre des risques. Le risque de déplaire à certains pour satisfaire les autres dans un monde rural ou un mandat électif relève presque toujours d’un sacerdoce.

Tu vas maintenant rejoindre au panthéon de la commune ceux qui t’ont précédé ou suivi dans cette charge, et qui mieux qu’un paysan sait ce qu’est une charge. Jean-Claude Lonjeac, Léonce Clavel, Lucien Prieur, et tous ceux que je n’ai pas connus jusqu’au plus illustre d’entre eux ; Charles de Ligonnes.

Il y a de tout dans un homme, des plaines, des champs, des tchestres, des chemins, des bois et des clapas, il y a le vent et ses noms, il y a les bienfaits et les caprices de la lune, et puis il y a la chasse, ce temps du petit matin où on va quelque part, au hasard. Je me souviens de ces lapins qui jaillissaient des clapas, de ces lièvres et de ces cailles que tu savais capturer à mains nues avec le souplesse d’un félin. Toutes ces choses que toi, le paysan, nous a apprises, nous a transmises car tu sais à quel point il était important de connaître son territoire pour pouvoir l’aimer.

Je sais que dans le pays ou tu vis maintenant, le temps est apaisé, les champs emplis de blé et de gibier. Tous ceux qui partageaient nos matinées de chasse sont maintenant de l’autre coté de la montagne, sur le travers de l’orient où les journées s’étirent vers des nuits éclairées de rosée, puis, le soir venu, descendent jusqu’aux plaines apaisées où chevreuils et chasseurs boivent ensemble l’eau du puits d’où jaillit la lumière.

Et puis il y a le monde, la famille, Thérèse, bien sur, tes filles et tes petits enfants, tes nièces, tes neveux, tes amis, et maintenant cette arrière petite fille qui fait fleurir des sourires dans l’île aux parfums d’épices et de vanille .

Il y a les temps de fêtes, les grillades de chataignes et les morceaux de fougasse partagés autour de la petite fontaine en écoutant le tourne disque grésiller des bourrées, cette dans que tu aimais tant, la danse de ta jeunesse, la danse des paysans qui lèvent les bras au ciel et frappent fort la terre du pied pour s’assurer qu’elle est bien là, solide et pleine de promesses.

Voilà, maintenant tu danses sur des rives qui nous sont encore inaccessibles. Alors pour tout ce temps passé, ces découvertes, ces moments de partage, ces temps d’apprentissage, je vais maintenant te parler dans une langue que nous avons si longtemps partagée, cette langue de la terre, cette langue du Gévaudan qui donne du relief aux éléments, aux murs, aux arbres, aux ombres et aux sentiers.

Cette langue des peurs, des colères, des joies, des mythes et des légendes.

Cette langue qui revient parfois au fond des rêves comme s’il fallait revisiter le passé pour se réinstaller dans le présent d’un temps déraisonnable et reprendre confiance en l’avenir.

Ahora, te dise lo que me disios a cada cop que ti benio veire : Fai un buen home.

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