Un goûter à Correjac
Posted on 25 février 2013 in C'était hier
Il fait beau comme un mois d’aout à Correjac, un village au nom pittoresque qui vient peut-être d’une villa gallo romaine, nichée au pied du bois de Rochalte.
Un village tranquille avec ses deux fontaines, ses noyers, ses maisons de pierre brûlées autrefois à cause de la Peste qui lui fît bien triste réputation. On raconte qu’un jour, un marin aurait ramené la Peste de Tunis et qu’elle se serait propagée d’ici jusqu’à Marseille.
C’est toujours un peu comme ça avec les marins, quand ils partent, ils font pleurer les femmes, pour les consoler, ils promettent de leur rapporter quelque chose de leur lointain périple, mais cette fois, ce marin là aurait mieux fait, dit-on, de ne jamais revenir au village
Et d’ailleurs qu’importe la marin… aujourd’hui le village a oublié. Seules quelques pierres noires témoignent encore du feu purificateur, et les marins sont à nouveau les bienvenus. Quelques légendes peuplent encore les veillées, comme celle de cet homme qui croyant sa femme perdue lui avait indiqué l’endroit où elle reposerait, ou encore celle du vinaigre des quatre voleurs…Mais c’est une autre histoire que je vous raconterai un jour, plus tard, parce qu’il y a aussi, même pendant la peste, des choses qui ne se passent pas comme on les attendait.
Aujourd’hui, on parle de belles choses.
Le village est beau, vivant, peuplé de gens vivants, des gens qui vont et viennent. Il se passe toujours quelque chose puisque les gens sont dans l’être, plus que dans le faire ou le paraître, c’est aussi pour cela qu’ ils sont vivants.
il y a quelques voitures, Titine, la vielle 2 CV de Monsieur M qui démarre à la manivelle quand elle en a envie, et Rosalie, la traction de monsieur S, sans compter les voitures des parisiens quand il fait beau, mais franchement, ce ne sont pas les voitures qui font le bonheur des gens, le village est petit et pour se rencontrer, pas besoin de voitures, juste de bonne humeur et de joie de vivre à partager.
D’ailleurs, quand la 2 cv veut pas démarrer, on la fait tirer par l’âne qui porte – selon le cas, le moment ou les circonstances – deux noms différents : celui du premier ministre ou du faon de Walt Disney.
De toutes façons, ici, il y a tout ce qu’il faut : des fontaines, le boulanger qui passe deux fois par semaine, deux bouchers, le facteur qui monte tous les jours en suant des gouttes grosses comme des billes et redescend à fond de train debout sur une pédale en ronchonnant après les chiens, et aussi l’épicier qui monte livrer.
Si on a besoin de vinaigre, on va chez monsieur M qui en fait dans gros tonneau. Il nous en donne une bonne bouteille contre une petite pièce. Il puise le vinaigre dans le tonneau tout en gardant sa cigarette éteinte au coin des lèvres , sous sa jolie moustache blanche.
Il a une boite magique pour rouler les cigarettes et des fois, il en a une d’avance sur l’oreille, comme un crayon d’épicier. Le jeudi, on va voir Zorro chez lui, et un soir par mois la piste aux étoiles. Il a une grosse télévision en noir et blanc avec un transformateur qui sent le plastique chaud.
Il est content comme quatre qu’on aille la voir chez lui, nous aussi ; ça fait qu’au bout du compte on est contents comme huit.
On a du lait, des œufs chez la tante T, des carottes au jardin que des fois on mange crues après les avoir lavées dans la “nauque” de la fontaine. Après, il faut que le médecin monte parce qu’on a mal au ventre, mais il n’y a pas besoin de voitures puisque le facteur apporte les remèdes alors, les voitures ça sert à rien qu’à aller faire des vaccins, aller chez le dentiste ou se faire opérer des amygdales alors restons piétons le plus longtemps possible pour garder nos amygdales et chanter plus tard dans le poste de radio !
Chez la tante T, il y a le téléphone public. Un gros téléphone noir avec un écouteur pendu au mur. Il sonne sans avertir, alors on est un peut surpris et on se dit “Tiens, qui sait qui c’est?” . On décroche, c’est pour madame M, ça vient de Paris. “Vite vite” , il faut aller la chercher ; pas de problème, la maison est toujours pleine d’enfants, une vraie colonie de vacances.
On file ventre à terre chercher madame M qui monte à son aise depuis le fond du village en faisant remarquer que “Hé oh, on n’est pas aux jeux olympiques!” et arrive toute essoufflée dix minutes après. On se dit que le correspondant a du s’endormir ou avaler le téléphone de rage, mais c’est comme ça.
Ici, quand on ne peut pas aller plus vite, on prend le temps.
Sinon, pour téléphoner, on fait bouger la languette une ou deux fois, et on tombe sur une dame qui ne dort jamais “Allo j’écoute” .
On lui dit “bonjour, pour le 3 à Auxillac, je voudrais le 21 à la Canourgue s’il vous plait” . On attend un moment, elle emberlificote les fils et on tombe sur le médecin parce qu’on a mal au ventre, c’est pas drôle.
Par contre, quand on appelle à Paris Pantin 13 26 , la on rigole comme des bossus en imaginant un pantin dans le téléphone.
Mais revenons à nos moutons, comme disait toujours monsieur P, le papi de Paris qui nous laisse des fois aller gouter chez lui. C’était bien, il est gentil, même si des fois il nous passe un savon quand on lui casse un peu trop les pieds.
Il parle parisien et patois en même temps – dans le village, ils sont deux comme ça qui roulent les R en patois comme un torrent en colère roule ses pierres vers la vallée – mais il vaut mieux des fois se faire enguirlander en patois qu’en parisien quand on a fait des sottises en se cachant dans la petite grange au bout de sa cour.
C’est incroyable le nombre de papets qui parlent parisien dans ce village!!! Monsieur P, monsieur M, monsieur C avec des accents qui font tordre de rire monsieur M, le marseillais. C’est incroyable comme les parisiens qui parlent patois savent dire des gros mots quand ils sont en colère, ça doit pas être triste à Paris quand ces trois là se mettent en colère ensemble contre la RATP, et en patois en plus!
Et puis, bien sur, il y a les gens d’ici. Ceux qui connaissent Paris l’été parce que les parisiens sont là et leur en parlent, et puis l’hiver attendent l’été prochain pour savoir quel temps il faisait à Paris l’hiver dernier.
Il y a monsieur C, le monsieur avec une chemise et des bretelles qui habite avec sa sœur dans l’ancienne école, celle d’après la peste. Il parle avec une voix assez haute, il a un chien qui s’appelle Pompon et qui court aussi vite qu’un guépard de chez Frédéric Rossif.
Ce monsieur, je l’ai vu semer avec mon oncle R dans un champ derrière Correjac. Il avait un sac de toile en bandoulière à l’épaule gauche, et il marchait en puisant dedans de poignées de grains qu’il jetait à la volée, comme des poussières dorées envoyées contre le vent.
Il allait et venait entre deux brins de buis qu’il avait plantés à chaque bout d’une bande de terre. En arrivant au bout, il retirait le brin de buis, comptait quelques pas et le plantait plus loin et reprenait son travail de semeur.
il portait des galoches et marchait pourtant d’un pas léger sur cette terre tiède, il semblait sur de son affaire. On ne pouvait pas douter un instant que la semence qu’il confiait si parcimonieusement à la terre donnerait un jour des grains de blé aussi gros que des fèves.
Je me souviens d’ être resté là de longues minutes, peut- être des heures, à le regarder aller en venir, croiser mon oncle, reprendre son buis, remettre du blé dans son sac, et reprendre son minutieux travail de semeur de bon grain.
Il y a monsieur P, qui a des belles moustaches et des bretelles. Des fois, on va chez lui pour l’aider à effeuiller des fagots de frênes.
On appelle cela des fiels. A la fin de l’été, il monte dans les arbres et fait des fagots qu’il laisse sécher dans la petite grange attenante à la maison, puis l’automne, on les effeuille pour les donner aux biquettes. On garde le petit bois pour allumer le feu, et puis le reste du temps on l’écoute parler, raconter des histoires.
Il chante bien, et il mâche toujours la chique en crachant par terre.
Quand on fait pareil, nous on se fait engueuler, alors on se dit que plus tard, on chiquera, comme ça on se fera pas savonner quand on escupira par terre.
Il parait que les indiens le font, d’après un missionnaire qui est venu, et que c’est un geste sacré alors que chez nous il faut pas le faire. Ça devient compliqué la vie par chez nous, il vaudra mieux aller s’installer chez les indiens quand on sera grand.
Il y a monsieur O, qui est grand et fort, avec un béret sur la tête, et qui souffle fort quand il monte les escaliers. Des fois il va piocher sa vigne, il a un bon jardin et il puise des arrosoirs d’eau dans la grande fontaine.
C’est important de savoir qu’il y a deux fontaines, la grande et la petite fontaine.
Les deux coulent exactement pareil, c’est à dire que l’été elles toussent comme des dératées, mais nous on n’a pas le droit d’aller à la grande parce qu’elle est à l’entrée du village et qu’on se ferait enlever par quelque loup garou si on y allait.
Nous, on a plutôt peur du peillarot, le monsieur qui ramasse les peaux de lapin… Les troupeaux boivent souvent à la grande fontaine, mais nous on va chercher l’eau dans l’arrosoir à la petite fontaine.
Quand les grands veulent boire le pastis, c’est bien commode, il n’y à qu’à amener la bouteille et les verres, l’eau fraiche est déjà sur place. On n’a pas le droit de boire au tuyau pour ne pas attraper des congestions et avaler des sangsues. Mon œil, si c’était vrai, il n’y aurait pas grand monde à l’école et on, serait tous à l’hôpital avec une bouillotte sur la tête et des sangsues plein l’estomac.
Puis, bien sur, il y a les femmes du village.
Les femmes mariées et les femmes pas mariées. Il y a les femmes des parisiens qui ont moins d’accent que leurs maris, ça doit vouloir dire quelque chose : les femmes sont moins vite intoxiquées par l’accent parisien que les hommes.
Il y a madame C qui nous appelle “mon poulet” avec sa voix douce. Je ne l’ai jamais entendue crier, elle est philosophe depuis que son mari se chipote sans arrêt avec son beau-frère, c’est à dire depuis toujours que “ces deux là” ne sont jamais d’accord sur rien.
Elle hausse les épaules et sourit en nous regardant avec ses yeux qui rigolent tout seuls. Nous on peut rien y faire non plus mais on les aime quand même.
Il y a madame P, avec ses cheveux blancs bouclés, la mamie de nos copains. Il y a madame M qui n’a pas sa pareille pour greffer les rosiers et les lilas.
Elle en greffe des simples, des doubles, des triples, elle en a même greffé un de trois couleurs. Ça fait tourner la tête quand elle explique comment il faut faire, mais ça sent drôlement bon dans son jardin, Il y a même un lilas à coté du tonneau de vinaigre.
Il y a Mademoiselle C, on l’appelle mademoiselle alors que c’est la plus âgée du village, mais c’est comme ça. c’est la sœur de monsieur P.
Elle habite au bout du village et elle a une ou deux chèvres mal élevées qui lui en font voir de toutes les couleurs. Il parait qu’elle a un bouc qui est “méchant comme la gale”. Merci bien, on a déjà eu la peste il y a quelques siècles alors ça va bien pour la gale…
Il y la mamé qui sort aux beaux jours, avec ses béquilles, et qui va s’assoir à la grande fontaine, contre le four qui fait l’angle, pour discuter l’après-midi avec madame C, madame P et madame P.
Elles ont des chapeaux sur la tête pour se protéger du soleil, et elles bavardent à n’en plus finir. Quand il y a trop de soleil, elles ont des parapluies.
Si quelqu’un passe, on remonte sans souci jusqu’à son arrière grand-mère, et c’est bien le diable si on ne se souvient pas de régiment où il a fait ses classes et de l’heure exacte de sa première communion.
Si on ne connait pas sa tête, on se demande qu’est-ce qu’il peut bien venir faire ici et on lui trouve vite fait un cousin ou une cousine dans le village.
Il faut pas oublier de leur dire bonjour quand on passe sinon on se fait traiter d’avocats. On dit bonjour au moins soixante fois pas jour, comme ça on est tranquilles, on n’ira pas au tribunal…
Quelque fois, une de ces dames s’assoupit, on voit ça quand le chapeau s’incline doucement. Puis tout d’un coup, un chien aboie, le tracteur de l’oncle R passe ou une mamie éclate de rire et Hop, le chapeau se remet droit par magie et la conversation reprend de plus belle
Et puis, il y les dames qui sont la que pour les vacances, qu’on connait moins, qui sont bien habillées et qui connaissent tout le monde. Elles ont des bons sourires, elles ont l’air drôlement heureuses, et leurs maris aussi.
Il y a bien sur, des enfants, et le boulanger qui a apporté de la bonne brioche, avec dessus des grains de sucre gros comme des lentilles.
C’est l’heure du gouter, il y a du vin blanc et de la bière en bouteille consignée pour les grands, de la grenadine pour les plus petits et du café pour ces dames qui n’aiment pas le vin.
Il fait beau, il fait chaud, et aujourd’hui on a tout ce qu’il faut, on ne demande rien de plus, on a juste envie d’être là.
L’après-midi passe doucement sur la place, tout est tranquille, on se donne du temps, où on le prend, on fait peut-être même les deux à la fois, allez savoir.