La roue de la vie

eauIl est venu tellement d’eau que les hommes se sont dit qu’il fallait faire quelque chose.

Au début, on ne savait pas trop d’où venait l’eau, si elle naissait des entrailles de la terre, et là on pouvait se dire qu’elle venait du plateau des Fonts pour celle d’Auxillac, ou du plateau de Cadoule pour celle du Paven.

Mais si l’eau venait des nuages, alors là mystère, parce que le nuage avait tout aussi bien pu se former au dessus de Londres ou d’Amsterdam et venir jusqu’ici pour peu que le vent le lui mène…

Au début, c’était une goutte si ça venait du nuage, ou une perle si ça sortait de la terre. Peu importe, il y en a eu tant et tant des unes et des autres qu’elles ont fini par faire un ruisseau.

Le ruisseau a jailli la haut, au flanc de la montagne, et il a commencé à dévaler le vallon de Chardonnet, il a laissé Marijoulet sur sa rive droite, est passé au Moulinet, et a glissé vers son lit jusqu’au moulin de Jarnelle, le Lot, puis la ville d’Aiguillon où il s’est marié avec la Garonne.

Les hommes ont vu cette eau, et ils ont voulu l’apprivoiser, la dompter, la domestiquer, utiliser sa force, profiter de ses bienfaits, manger ses truites…

Il ont bâti des églises, aménagé des cimetières, des ponts et des ruelles, bien tranquilles parce qu’ils savaient qu’ils ne manqueraient jamais d’eau ici.

Les femmes ont lavé leur linge dans le ruisseau, les enfants s’y sont baignés, et les roues du moulin ont continué à tourner pour faire de la farine et de l’huile jusqu’au jour où les hommes se sont dit que le ruisseau ne servait plus à grand chose puisqu’on faisait venir tout d’ailleurs et que plus personne lavait dedans, alors ils ont arrêté la roue, sans arrêter le temps bien sur ; et la roue est morte de sa belle mort.

Un jour, il y a longtemps, un bohémien est passé dans le village, et il a demandé du pain à une vieille femme qui l’a repoussé, comme autrefois le juif errant a repoussé le christ qu’on menait au supplice.

rodaLe pauvre homme lui a dit « Tu ne comprends rien, il ne faut pas grand chose pour faire du pain : Un peu de blé, du sel, de l’eau, un four et un moulin, vous avez tout pour faire ça ici et vous ne voulez pas le paratger ? …Rappelles toi bien la femme, dans mon pays, en Bohème, on dit que tout ce qui n’est pas partagé est perdu. »

Aujourd’hui, la roue tourne, c’est une renaissance. Mais si elle est condamnée à tourner dans le vide, ne risque-t-elle pas de perdre son âme ?

Faisons le pari que les femmes et les hommes de ce pays sauront lui trouver une autre utilité que celle d’un simple objet de décoration.


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