Justine
Posted on 11 septembre 2015 in Les êtres chers
Il faut une fois de plus vous obéir, prendre nos plumes et nos cahiers et s’appliquer à ne pas déborder les lignes qui tracent sur le blanc de l’innocence les sentiers de la connaissance.
Il y a six ans, pour votre centenaire, j’ai écrit ce petit abécédaire.
Depuis, le temps s’est assoupi sous le pré-haut comme un enfant en manque de sommeil. L’enfant a grandi et le temps est venu où il est urgent de dire des choses, de les écrire, pour leur rendre leur part d’éternité.
Je vous écris de bien loin, mais il n’y a pas de distance dans le monde des souvenirs, et puis n’êtes vous pas la première a m’avoir montré un globe terrestre en m’enseignant qu’un jour un navigateur qui était parti vers l’ouest pour y chercher des épices a découvert un nouveau monde ?
Ce monde que vous avez contribué à façonner, vous nous le laissez maintenant, mais nous ne sommes pas seuls et nous saurons y continuer notre chemin en toute confiance car vous nous avez ouvert la voie et nos cartables sont emplis de vos enseignements.
Combien de jours, de semaines, de mois et d’années avez vous arpenté ce monde en bâtisseuse du savoir?
La première guerre mondiale et son cortège de privations ont assombri votre enfance. Vous avez connu onze papes et trois républiques, le cartel des gauches, les gouvernements d’union nationale, le front populaire, la guerre, l’occupation, les joies de la libération, les trente glorieuses, mai 68 et les premiers pas de l’homme sur la lune.
Tout ce temps, vous l’avez donné sans compter, en mettant toute votre énergie au service de notre petit village.
Que de changements vous avez du gérer sans jamais laisse se faner ce sourire radieux qui illuminait votre visage! Que de souffrance avez-vous du accompagner quand les morsures de la maladie ou les accidents de la vie arrachaient une ou un de vos élèves à l’amour de sa famille. Que de joies avez-vous partagées en voyant vos anciens écoliers s’épanouir sur les chemins de la vie….
Vous avez toujours été là, fidèle à vos engagement, stoïque, bienveillante, porteuse d’espoir. Vous avez allumé le réverbère du savoir pour une dizaine de générations. Telle une vestale, vous avez entretenu la flamme d’un fanal bienveillant pour les guider dans leur navigation sur les flots changeants du savoir.
Vous avez fait germer tant et tant de lettres, de phrases, d’accents, de traits, de points, de pleins et de déliés qui si on les nouait bout à bout sur un ruban d’alphabet, il serait tellement long qu’il pourrait à lui seul enrober le monde dans ses reflets multicolores.
Je sais ma sœur que l’encre et les larmes ne font pas bon ménage, c’est pourquoi je m’attacherai à ne pas pleurer, car je sais aussi que vous n’êtes pas tout a fait partie, vous avez juste fait un pas de plus sur le chemin de la vie dont vous seule savez maintenant où il mène.
Vous me reprochiez quelquefois d’être dans la lune, mais maintenant que vous êtes devenue une étoile de plus dans l’immensité de la voie lactée, je ne pourrai plus m’empêcher de sourire en regardant le ciel, et si quelqu’un s’en étonne, je n’aura qu’à lui faire la réponse de Saint-Exupéry : « C’est comme ça, j’ai toujours envie de sourire quand je regarde les étoiles ».