Le colporteur de Bogota
Posted on 28 février 2017 in C'est la vie
C’est dimanche et ça se voit, ça se sent, ça s’entend.
C’est beau un dimanche.
Pour un chrétien, c’est le jour du seigneur, pour un païen, c’est le jour des chrétiens, pour un pigeon, c’est un jour comme les autres : un de ces jours ou chrétiens et païens se croisent sur la place sans se signer ni se saluer.
Pour un pigeon, c’est un signe qui ne trompe pas, tant il est habitué d’être pris par l’un et l’autre pour ce qu’il est. Le pigeon sait pertinemment que les hommes se font bien souvent pigeonner alors qu’on a encore jamais vu un pigeon se faire humaniser. C’est la nuance mais elle est de taille.
Lui se fiche un peu des chrétiens et des païens qu’il ne prend pas pour des pigeons. D’ailleurs toutes ces histoires du dimanche lui donnent la migraine, et ça ne s’arrange pas avec les pigeons qui le font éternuer s’ils s’approchent trop près.
Pour tout dire, il aime pas forcément les pigeons mais il fait avec, et c’est à croire qu’ils le savent puisqu’ils le laissent faire tranquillement son bonhomme de chemin de vendeur ambulant qui ne vole pas.
Il vend de tout. Enfin, c’est beaucoup dire, il vent tout ce qu’il a dans sa carriole pour autant qu’on lui achète, et ce matin il ne vent rien : allez savoir à qui la faute.
Évidemment c’est une image! C’est dimanche et il vend des choses du dimanche : des cigarettes et des bonbons, tout ce qu’il faut pour les familles qui détestent au plus haut point qu’on les prenne pour des pigeons.
Sur l’entourage de la statue de Simon Bolivar, Carolina serre Paloma dans ses bras fatigués.
Elle rêve qu’elle va loin, qu’elle prend un train qui mène la bas, au bord de la mer caraïbe.
Dans sa tête, les paroles de Perdro ce matin là, sur le quai des au revoir. “Volveré, es justo algunos días, verás, es poco algunos días en una vida.”
Et puis plus rien, plus un signe de lui, seule une affichette placardée sur le lampadaire à l’angle de la 7 et de la 32. Un avis de recherche, un prénom et un numéro de téléphone a appeler au cas où quelqu’un aurait des nouvelles de Pedro.
Le pire, c’est que Caroline ne sait toujours pas ce qu’il allait faire du coté de Togoroma, ils devaient bientôt se marier et louer un appartement dans le barrio Fontibon…
Le colporteur lit l’affichette qui s’efface avec le temps, lève les yeux au ciel et continue son bonhomme de chemin, passe devant Carolina sans la voir et s’enfonce en faisant le dos rond sur la place des pigeons.
Plus loin, dans un nuage de pigeons, Paco commence sa journée de marchand de maïs .
Acheter du maïs à la tienda de la 32
l’égrainer et l’ensacher pour le vendre aux passants qui nourrissent les pigeons.
Plus il y a de passants, plus il y a de pigeons
Plus il y a de pigeons, plus il y a de passants
Plus il y a de passants, plus il y a vendeurs
Plus il y a de vendeurs, plus il y a de maïs
Plus il y a de maïs, plus il y a de pigeons….et le cycle continue
et c’est bien ce qui agace le colporteur de Bogotá pour une bonne et simple raison : les pigeons sont un peu comme les enfants ; ils ne fument pas et n’ont pas de sous pour acheter des bonbons qui leur abiment les dents.