El Cristo se paró antes de Belavista

C’est là que c’est arrivé, il n’y a pas d’autres explications ; le jour où il est passé en Colombie, le christ a du s’arrêter juste à la sortie de Soacha.

Il n’a sûrement pas eu la force de monter jusqu’à Belavista.

Trop fatigué pour un autre chemin de croix, les pieds trop abimés pour affronter  les chemins défoncés et la pluie qui ajoute à la difficulté.

C’était trop pour lui et c’est peut-être pour ça que les habitants de ce quartier n’ont pas eu droit à leur part de richesses, et ce n’est pourtant pas faute de prier….Il n’y a qu’à voir tout ce monde qui se fraye un chemin dans la boue le front marqué d’une croix noire pour comprendre qu’aujourd’hui, c’est le mercredi des cendres.

Les cendres, le début du carême….Comme si ces déshérités avaient besoin de voir s’ouvrir pour eux quarante jours de jeune, d’abstinence, de pénitence et d’aumône.

L’air est irrespirable, à se demander s’il ne célèbre pas à sa façon le jour des cendres. Toute la pollution de Bogota envahit les collines, ce qui ajoute à la suffocation des 2870 mètres d’altitude.

ici, les rues sont si défoncées et les pentes si sévères que même les chiens peinent à les monter. Pas de services publics, les déchets jonchent ce qu’il reste des chemins, et d’ailleurs à quoi bon recueillir les déchets dans une ville où les gens y trouvent encore quelques ressources pour lutter contre la faim.

Ici les déchets circulent à l’infini et se partagent dans la violence. La misère est reine et dispense ses largesses à qui veut les prendre ou la laisser.

Une vieille femme appuyée sur une canne monte péniblement la rue défoncée, le pied gauche enserré dans un sac plastique ; elle vient de donner un peu de son temps al comedor comunitario  de La buena tierra qui alimente près de quatre cent enfants du quartier et s’en retourne péniblement chez elle, convaincue que tout ce qu’elle contribue à semer sur cette terre produira de bon fruits.

Pour les autorités, Soacha compte 300 000 habitants, mais les observateurs avertis en annoncent un million quatre cent mille. Un détail pour un petit million de personnes qui n’existent pas et ne sont pas comptés dans la chaine de la vie.

Un  million et demi de personnes qui s’entassent sur des pentes cabossées. Des vénézuéliens qui ont fui la misère et l’instabilité de leur pays, des équatoriens, des apatrides, et d’ailleurs peu importent les papiers quand on n’existe pas, qu’on vient de nulle part et qu’on a pour horizon que les brumes de la ville.

Ce matin, un jeune homme a disparu, ici, quelque part, au milieu de gens qui viennent de nulle part. La peur est là parce que la police rode et c’est le moment le plus dangereux car les gens sont à cran et peuvent à tout moment attaquer notre taxi.

Le soir, le chauffeur s’inquiète et nous demande de maintenir les vitres bien fermées.

Pourtant ici il y a la vie, des gens qui se battent pour donner de la dignité à leurs quartiers en mettant des couleurs sur la ville, des couleurs sur la grisaille des jours, des couleurs qui pétaradent pour conjurer les ombres de l’ennui.

Devant le centre culturel, des enfants rient et crient leur soif de vie en faisant de la balançoire à l’envers pour voir un autre ciel.

Les rues chantent de couleur, de mots, d’espérances et d’envies.

C’est le feu d’artifice de la vie.

                           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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