Le vinaigre des quatre voleurs

pesteDepuis quelques mois, la mort rode à Correjac et dans les environs.

Le village est bloqué par les soldats, mais l’épidémie s’étend peu à peu dans les hameaux et villes d’alentours.

On n’arrête pas la mort qui marche comme on arrête un ennemi visible sur un champ de bataille.

Ici le combat est inégal, cruel et sans visages. Malheur à celle ou celui qui s’enrhume ; au premier éternuement on se signe autour de lui en suppliant Dieu qu’il le préserve de la peste.

Il n’y a pas que la maladie  qui rode dans ce Gévaudan dévasté par la peur et les deuils qui se succèdent. Depuis quelques jours, une bande de brigands détrousse les passants, dépouille les cadavres des quelques bijoux que leur proches leur ont laissés pour le voyage dans l’au delà, et vident les maisons des familles décimées par la maladie.

Les hommes sont agiles, rapides et insaisissables. On les voit partout et nulle part, à Banassac, à La Canourgue, puis à nouveau à Auxillac, à Cadoule, et même à Marvejols.

Les soldats ont d’autres chats à fouetter pour tenir le blocus sensé contenir la maladie et comme un malheur n’arrive jamais seul, les villageois manquent de vivres.

On invoque les saints, on se voue à Saint Roch : St Roch, en cinq années parmi les gens meurtris, vous avez soulagé bien des douleurs humaines, sous vos doigts inspirés les plaies devenaient saines et les pestiférés se retrouvaient guéris.

On supplie Saint Adrien d’intercéder  près du très haut, On prie Saint Sébastien pour qu’il éloigne le fléau comme il le fit jadis à Rome ou à Pavie. On demande à la vierge Marie d’intercéder près de son fils pour faire cesser la diablerie…Rien n’y fait, le mal est là et les malfrats continuent leur macabre besogne malgré les invocations à Saint Antoine de Padoue.

Un soir au retour d’une visite à sa  grand-mère malade à Marijoulet, un  jeune garçon remarque quatre hommes qui cueillent des plantes dans le coteau. Intrigué, il s’approche et s’abrite derrière un buisson pour observer leurs allées et venues.

Les hommes viennent de se regrouper autour d’un casse coûte bien arrosé et, se croyants seuls, tirent des plans pour le journée du lendemain “On ira à pointe de jour à la ferme de Montferrand, ils ont pris la maladie il serait dommage de ne pas les soulager de leurs économies avant qu’ils ne s’envolent tout droit vers les portes du  paradis” .

L’enfant s’écarte doucement des larrons imprudents et file à toute vitesse voir l’officier des dragons près du Pont de Salmon pour lui raconter l’étrange conversation  dont il vient d’être le témoin.

Le lendemain matin, les quatre voleurs tombent dans le piège tendu par les dragons autour de la ferme. On les conduit à Marvejols pour y être jugés et condamnés à mort par pendaison pour expier leurs méfaits.

On raconte que le bailli consulté en appel voulut connaître le secret qui leur permettait d’échapper à la Peste et leur proposa en échange de commuer leur peine en travaux forcés ; ils acceptèrent de le livrer pour avoir la vie sauve .

Les hommes s’enduisaient tous les matins le corps d’un vinaigre spécial dans lequel ils faisaient macérer du thym, du romarin, de la sauge et de la lavande.

Outre ses propriétés antiseptiques, le vinaigre avait pour particularité d’éloigner les puces porteuses du bacille. C’est depuis ce jour que l’on appelle cette mixture “vinaigre des quatre voleurs”.


Cette histoire ne s’est en rien passée en Gévaudan, bien que certains brigands aient du profiter de l’épidémie pour détrousser les habitants et piller les maisons des pestiférés. j’ai simplement adapté l’histoire -que certains situent à Toulouse et d’autres en Provence, on ne sais plus trop- au contexte local. Marcel Pagnol l’évoque dans le temps des amours.

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