L’homme qui se fait des idées

Il y a ceux qui font de la musique, qui écaillent le poisson, qui vont au travail en vélo, qui écrivent des histoires.

Ceux qui travaillent encore dans les mines qu’on a fermées parce qu’ils toussent le matin.

Il y  a ceux qui prennent deux fois du fromage, comme ça, parce que c’est le moment de le faire.

Il y a ceux qui embrassent les arbres, parce que c’est plus facile que d’embrasser du monde.

Lui se fait des idées.

Ça vient de loin, du temps où est née sa pensée, la bas, quelque part, mais c’est une autre histoire rangée au fond de sa mémoire, et la mémoire et les idées ne font pas bon ménage ; elles se percutent et lui donnent mal à la tête.

De toute façon, il n’en fait qu’à sa tête. C’est du moins l’idée que tout le monde se fait de lui et c’est ce qui lui fait le plus mal.

Il se tue à dire et personne ne veut l’entendre. Se faire des idées, c’est un métier comme un autre. Il faut un toit, du temps, un peu de matériel et du besoin de faire.

Il faut un à te lier dans la langue des oiseaux.

Tout le monde pense que les oiseaux ont une cervelle d’oiseau, alors comment avoir des idées claires quand on ne sait pas trop où l’on va, ou plutôt quand on y va tout simplement parce qu’en bon migrateur il faut y aller car le temps est venu de répéter inlassablement un voyage séculaire dans le monde des idées.

Les oiseaux sont parfois aussi étourdis que les hommes, ils ne voient pas le temps passer, ou plutôt, ils ne voient pas les temps changer et continuent à criailler comme des goélands des idées saugrenues.

Mais ça, c’est une idée toute faite. Regardes François d’Assise qui prêchait aux oiseaux et apaisait les loups. Il savait, lui, que toutes les créatures de l’univers valent bien mieux que l’idée que l’homme s’en fait.

Les idées, ça se fait pas comme ça. Il faut une commande, il faut que ça mène quelque part, que ça s’attache à quelque chose ; n’importe quoi, une branche de bouleau, une pierre de chemin, la chevelure d’une aimée.

Il a mis du temps à le comprendre ; avant il suivait son idée sans se rendre compte qu’elle le menait nulle part puisque c’était une idée fixe.

Une fois, il s’est fait peur. Il avait une idée derrière la tête et il arrivait pas à la voir ; il avait beau se tourner, rien n’y faisait.

L’idée était là, incrustée comme un lierre sur le tronc d’un jeune merisier.

Il dit : Une idée, ça se fait pas comme ça, ça ne vient pas de nulle part. Ça frissonne quelque part dans un coin de ta tête.

Il dit : une idée, c’est jamais brut, jamais tout fait. Ça tourne un moment dans les couloirs du doute, ça se raccourcit, ça se polit, ça se rabote pour sortir tout lisse dans le monde des dits.

Sinon, c’est un dédit ; ça reste qu’une idée et ça te tourne en rond dans la tête comme un papillon en cage.

Bien sur, on parle là des bonnes idées, des idées qui éclairent le monde; et pas des idées noires, celles qui se propagent aussi vite que la poudre que les hommes font parler pour les imposer au reste du monde.

 

 

Comments are closed.