La lavandière de l’Ourika

 Le temps qui passe , c’est un peu comme du linge qu’on repasse, à moins que ce ne soit le contraire.

Le temps qui passe, c’est comme une rivière, ça commence quelque part sans que personne ne demande rien.

Ça nait, ça sourdre, ça suinte, ça résurge, ça coule de source, ça se faufile, ça se glisse, ça s’écoule, ça suit son cours, ça se fait un chemin, ça serpente, ça tourbillonne, ça cascade, ça chute, ça tombe sur certains, ça évite les autres  comme la vie d’un ailleurs qu’on croit différent d’ici .

Ici, les rivières coulent comme les hommes voient les femmes, de l’eau, de l’eau…Que d’eau!

Ici l’eau n’a pas de sens parce qu’elle vient naturellement de nulle part, comme une qui vient d ‘où elle doit venir, tout simplement, pour plaire à l’homme.

Ici l’eau vient d’en haut, comme une pluie qui perd le sens de sa venue, qui vient à contresens, quand on ne l’attend pas, quand on ne veut pas la recevoir, quand on veut la garder pour plus tard, sans le savoir, c’est ce que disent les femmes qui veulent aller à la rivière.

La pluie c’est aussi une fille jalouse qui tombe sur le dos des femmes pour leur prendre le peu de temps qu’elles avaient  pris pour aller au bord de l’eau , un peu comme si elle venait pour reprendre ses droits. La pluie, c’est l’eau qui fait des siennes, l’ennemie des femmes qui aiment que les choses soient dans l’ordre.

La pluie, c’est le cadeau  aux hommes qui l’attendent comme on attend une femme d’eau aussi mouillée  qu’une rivière qui se plait dans son lit,  c’est comme une femme qui vous visite sans qu’on l’attende forcément. Quand elle tombe bien, on dit qu’elle tombe bien, qu’on l’attendait depuis longtemps, qu’elle est la bienvenue, qu’elle fera du bien à tout le monde, qu’elle fera tout renaître et grandir. C’est ce que disent les hommes qui aiment qu’on leur fasse des surprises.

Aujourd’hui, il ne pleut pas.

La femme de la haut est descendue au bord de l’eau.

Aujourd’hui, c’est elle qui fait le voyage, elle qui va à l’eau, elle qui fait corps avec la rivière.

A setti fatma, plus d’endroit, plus d’envers, plus de poches ni de manches ; juste un lieu et un moment…et le temps de le faire le jour où la pluie qui ne vient pas lui  laisse vivre sa vie, la  femme du douar s’est plantée dans la rivière pour tout mettre sens dessus dessous.

 

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