Un mur

Le mur des souriresDe Berlin ou de Constantinople
De Cisjordanie ou de Jérusalem
D’Hadrien ou de Lennon
Mur de la paix ou mur de la honte
Mur de sable ou des fédérés
Muraille de Chine ou ligne verte
Mur des civilisations ou ou des lamentations
Murailles de Jéricho ou mur de San Diego
N’avez vous donc été construits que pour trier les êtres?

Un mur, ça n’existe pas, c’est une pure invention de l’homme.

C’est la différence essentielle entre ce qui est avant lui et ce qui est fait par lui.

Une cloison qui a germé un jour dans sa tête à trier l’ivraie du bon grain avant de l’élever sur le terrain pour couper les choses en deux :  le ciel de la terre, les frères des sœurs, les hommes des femmes, les tribus des peuples, les civilisés des sauvages, les croyants des païens, les fervents des impies, les chastes des pêcheurs, les pures des pécheresses, les épouses des maîtresses, les prudes des putains, les riches des pauvres, les sédentaires des errants, les possédants des sans terres, les savants des ignorants, les initiés des profanes, les bons des méchants.

Un mur, ça cache des choses, ça tait des choses, ça met en sourdine, ça confine, ça retient, ça limites, ça délimite, ça enferme, ça renvoie, ça tue. Paroi, rempart, séparation, obstacle … Autant de noms guerriers pour effrayer les hommes.

Mais un mur, c’est autre chose :

Une muraille ventre de femme quand ça devient enceinte
Une palissade quand tombent les barrières
Un muret quand s’étire la lenteur de l’enfance.

Un mur, c’est douze mille sept cent trente deux pierres empilées cote à côte.

Des pierres aux prénoms de faiseuses de murs. Des pierres comme des hommes et des femmes, tous assemblées ici pour les besoin du mur ; et les besoins ne sont pas les mêmes pour toutes…

Il y en a des fortes, des biens faites, des bien taillées, celles qui ont de belles faces, celles sur qui on peut s’appuyer, celles qui ont des formes arrondies, celles qui ont de belles couleurs, celles qui ont de jolis reflets, celles qui brillent, celles qui piègent la lumière, qui font de l’ombre aux autres, celles qui ont la part belle, qui prennent la bonne place, celles que les hommes manient avec douceur, caressent avant de les coucher avec précaution  sur les éclats des autres, celles qui soutiennent le mur, celles qui les soutiennent et qui, par leurs disgrâces, subliment leur beauté.

Il y a celles qui sont cassantes, celles qui ne savent pas ce qu’elle font là, celles qui ne voient rien parce qu’elles sont derrière, celles qui sont trop petites, celles qui bouchent des trous, celles qu’on frappe pour les contraindre à trouver leur place, celles qui sont trop fragiles, celles que les bâtisseurs n’aiment pas prendre, celles qui sont trop lourdes pour que les hommes puissent les prendre à bras le corps, celles qui n’ont pas de belles face, celles qu’on retourne dans tous les sens avant de les mettre de coté au cas où…Il faut de tout pour faire un mur.

Un mur, c’est là qu’on aligne des hommes qui ne marchent pas comme les autres avant de les fusiller, c’est le dernier appui de la femme adultère, c’est une fin de chemin, c’est la moiteur d’un cachot, c’est le silence du tableau que le cancre voit au bout de sa feuille blanche en rêvant d’oiseaux et de papillons de toutes les couleurs, c’est la frontière entre le pris et le preneur, la victime et le prédateur.

Un mur, ça pousse dans les oreilles de ceux qui ne veulent pas entendre, ça bouche la vue de celui qui ne veut rien voir, ça crée des impossibles relatifs pour les hommes de peu de foi, ça ouvre des rêves de croisades pour ceux de trop de foi.

Un mur, c’est aussi une cabane dans la muraille, un havre de tiédeur pour amants en émoi, un appui pour les coudes de ceux qui ont à se dire, un repère pour le pèlerin  qui cherche sa voie dans la tempête, un abri bienveillant pour l’homme qui a froid, un support pour celui qui a besoin d’ écrire, un fond de chapelle Sixtine.

Ça peut aussi servir à écrire des mots d’amour.

Guy Lévêque, Auxillac, aout 2012

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