Quand s’allument les lumières.
Posted on 26 avril 2017 in Dormir debout
Au commencement étaient les ténèbres et l’obscurité, bien entendu. Le coté obscur de l’humanité où l’homme se trouvait seul face à son ignorance.
Un homme brut et qui n’y voyait rien, un homme barbare et mal dégrossi, incapable d’utiliser le moindre outil puisqu’il en ignorait l’existence, tel un aveugle de Baudelaire recherchant dans un ciel invisible la lumière qui le fuyait. Puis vint la lumière.
C’est du moins ce qui se dit, mais pour autant les choses ne sont peut-être pas aussi simples.
Est-il possible de parler de lumière, que ce soit dans sa dimension symbolique ou naturelle, sans plonger pour un temps au plus profond de la nuit qui fait tout apparaître dans sa logique de contraste, de mystères et de révélation?
Sans nuit il ne peut y avoir de jour, donc sans nuit, la lumière ne pourra jamais venir. Plus claire la lumière, plus sombre l’obscurité…Pour Jean-Paul Sartre « Il est impossible d’apprécier correctement la lumière sans connaître les ténèbres». Mais de quelle lumière parlons-nous, et d’où vient-elle?
La dialectique Lumière/Ténèbres est un symbole universel. Depuis la « déification » du feu, élément vital pour l’Homme préhistorique, puis dans les divinités de la mythologie grecque où APOLLON, fils de Zeus, est le dieu du jour et de la lumière et jusqu’à la théologie de Dieu, on n’a eu de cesse que de lui accorder des origines et vertus surnaturelles, attractives, rassurantes et bienfaisantes.
Dans l’Ancien Testament, la Genèse rend compte des étapes de la Création qui commence par l’apparition de la lumière: « Dieu dit : – Que la lumière soit! – et la lumière fut. ». Puis elle est séparée des ténèbres : d’où la distinction du jour et de la nuit : « Ce fut le premier jour », qui introduit le Temps, lequel découle de la succession des jours et des nuits.
Ainsi, la lumière est saisie symboliquement comme tissage avec soi-même. «C’est lumière sur lumière», affirme le Coran ; «Dans Ta lumière nous verrons La lumière», professe la Bible. Lumière et ténèbres sont les deux faces d’une même réalité. La lumière voile en dévoilant, les ténèbres dévoilent en voilant. La lumière engendre et dissipe ses propres ombres, mais elle est formée d’opacité.
La lumière est la forme de l’apparaître et de sa propre disparition.
Si l’on se réfère à la bible, Dieu est lumière. Ici la lumière est partout présente, sur le front de Moïse à sa descente du Sinaï, dans le buisson d’Abraham, dans les langues de feu qui descendent sur les disciples, et surtout dans les miracles.
Les plus célèbres d’entre eux, à l’exception de la résurrection de Lazare qu’il rend à la lumière portent sur la vue rendue aux aveugles. Il ne s’agit pas de la vue comme fonction première d’un sens mais de la lumière qui ouvre la voie vers la connaissance. « Les misérables, ils avaient des yeux pour voir, et ils n’ont rien vu » A travers ces guérisons, le message de Jésus le prédicateur qui éclaire les hommes au travers de ses enseignements est on ne peut plus clair.
Il est encore dit dans la Bible (Exode 34,29) : « Il ne savait pas, lui, Moïse, que la peau de son visage était devenue rayonnante en parlant avec le Seigneur ».
Lorsque Moïse a grimpé vers le sommet du Mont Sinaï, il a spirituellement fait le chemin inverse et est descendu au plus profond de lui-même. C’est là où il a atteint l’initiation suprême, le contact avec la Vérité et il est devenu physiquement flamboyant. Le visage de Moïse, lieu d’expression de sa pensée, était illuminé.
Mais alors, si Dieu est lumière, ne voudra t-il pas punir ceux qui veulent la donner aux hommes à sa place ? Lucifer, dans la bible, n’est-il pas le porteur de lumière ? Le Ttitan Prométhée n’a t-il pas été puni par Jupiter pour avoir donné le feu, et donc la lumière, aux hommes ? Ce n’est pas sans rappeler certains modèles dictatoriaux qui, soucieux de maintenir leurs sujets en esclavage, vont se livrer à une chasse sans merci à ceux qui pourraient les éclairer….Voltaire ne fustigeait-il pas cette religion qui était nécessaire à la canaille qui ne sera jamais éclairée, mais qui a besoin d’être guidée…
Dans un monde plus païen, au commencement était la lumière subie, celle du jour et de la nuit, celle qui éclaire ou masque à l’homme sa proie. Puis un jour cet homme va apprivoiser le feu, non pas au début pour se nourrir, mais plus pour s’éclairer et faire fuir les sauvagines qui menaçaient sa survie nocturne.
Puis viendra Edison et la lumière artificielle…
Voilà un tout petit éclairage sur la lumière originelle…. Mais que nous révèle la lumière, que nous cache t-elle, en quoi constitue-t-elle parfois une menace ou une souffrance? Dans l’Étranger, Albert Camus évoque la souffrance infligée par la lumière qu’il compare ou assimile à une lame, un glaive, une épée. Un peu plus loin dans ce même roman, Meursault demande d’éteindre la lumière car elle est à l’origine d’un changement qu’il n’est pas prêt à admettre avant de constater plus tard que des conversations jaillit la lumière.
Je vais tenter, en me référant à celles d’un siècle éclairé par la lumière métaphorique des connaissances, d’approcher la lumière avec les quelques outils dont peut disposer un aveugle pour approcher quelque chose qui échappe au regard de tous.
La lumière nous ressemble. J’en veux pour preuve le parcours du soleil et voila pourquoi je nous invite pour un temps à ce petit retour vers notre enfance.
Au petit matin frêle et fragile, la lumière perce petit à petit les ténèbres, puis s’enhardit a se mettre doucement debout, et commence à projeter des ombres, tout en ne percevant qu’une partie des choses dont elle ne voit qu’un coté. Elle monte sans soucis dans la tiédeur d’une matinée douce comme l’enfance, puis elle s’affirme et commence à rayonner, à produire des effets sur l’environnement. Elle voit et prend les choses de haut. Là les hommes commencent à s’en protéger, certains s’en méfient, d’autres s’en détournent ou s’en abritent. Vient ensuite le temps où elle commence à perdre du terrain, sa vigueur s’émousse, elle baisse d’intensité, glisse doucement vers le couchant pour ne laisser pour souvenir que le reflet de son passé irisé dans les étoiles.
Cette lumière n’est pas sans rappeler les étapes de tout parcours de vie qu’elle balise. Cependant, cette lumière conserve toujours une part d’ombre puisqu’elle en est la source essentielle et unique. Imaginons un cube posé sur un plan fixe. Ou qu’il se place, l’homme ne pourra jamais en voir toutes les faces, chacune des cinq faces qui lui ressemblent conservera une part d’ombre, et la sixième ne lui sera jamais accessible puisqu’elle est en elle même le symbole de la lumière, et que comme tous les symboles, elle se voile en se dévoilant.
La lumière peut nous tromper, créer des ombres ; et s’en approcher ne va pas sans poser quelques problèmes.
“Dans une demeure souterraine, en forme de caverne, des hommes sont enchaînés. Ils n’ont jamais vu directement la lumière du jour, dont ils ne connaissent que le faible rayonnement qui parvient à pénétrer jusqu’à eux.
Des choses et d’eux-mêmes, ils ne connaissent que les ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux. Des sons, ils ne connaissent que les échos.
Que l’un d’entre eux soit libéré de force de ses chaînes et soit accompagné vers la sortie, il sera d’abord cruellement ébloui par une lumière qu’il n’a pas l’habitude de supporter. Il souffrira de tous les changements. Il résistera et ne parviendra pas à percevoir ce que l’on veut lui montrer
Alors, Ne voudra-t-il pas revenir à sa situation antérieure ? S’il persiste, il s’accoutumera. Il pourra voir le monde dans sa réalité. Prenant conscience de sa condition antérieure, ce n’est qu’en se faisant violence qu’il retournera auprès de ses semblables. Mais ceux-ci, incapables d’imaginer ce qui lui est arrivé, le recevront très mal et refuseront de le croire : ne le tueront-ils pas ?”
La caverne de Platon symbolise le monde sensible où les hommes vivent et pensent accéder à la vérité par leurs sens. Mais cette vie ne serait qu’une illusion. Platon témoigne d’une interrogation permanente sur ce qui lui permet d’accéder à l’acquisition des connaissances associées au monde des idées comme le prisonnier de la caverne accède à la réalité qui nous est habituelle.
Mais lorsqu’il s’évertue à partager son expérience avec ses contemporains, il se heurte à leur incompréhension conjuguée à l’hostilité des personnes bousculées dans le confort -illusoire- de leurs habitudes.
“Regarde avec ton esprit, découvre ce dont d’ores et déjà tu as la conviction et tu trouveras le chemin de l’envol.” Jonathan est banni de sa communauté parce qu’il a exploré une nouvelle voie et veut inciter les autres goélands à voler vers cette lumière.
Il sait pourtant que de longs et pénibles efforts restent à accomplir pour la faire rayonner sur toute la communauté des goélands, il persiste et d’autres goélands lui emboîtent finalement le pas.
Dans une rue d’Athènes, vers midi, une homme marche dans la foule sous un soleil éblouissant, une lanterne allumée à la main. Socrate lui demande : «Que cherches-tu, Diogène, avec ta lanterne, en plein jour ?» «Un homme, répondit-il, un homme véritable, qui ait de la superbe !». Formidable Diogène qui un jour osera demander à Alexandre le Grand de s’ôter de son soleil … Alexandre qui dompta jadis, dit-on, Bucéphale en le plaçant face au soleil afin qu’il ne vit point son ombre…
Victor Hugo nous rappelle que dans la connaissance, comme dans les arts, la lumière s’acquiert avec le temps. « Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens, Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière. »
Était-ce par mélancolie que le petit prince aimait tant les couchers de soleil ou parce qu’ils symbolisaient la marche d’un vieillard vers une autre lumière?
La lumière est un peu comme le renard du petit prince, difficile à apprivoiser car elle suppose le respect de rites, et dès lors que l’homme croit avoir atteint son objectif, vient le temps de la mort, celui de danser nu dans la lumière, pour reprendre l’image de Khalil Gibran qui associe la lumière à la liberté.
« Vos actes sont des jeux d’ombres et de lumières en couples enlacés, toute ombre se dégrade, se fond et se meurt à l’arrivée d’une lumière,et quand l’ombre s’évanouit et n’est plus, toute lumière qui s’attarde derrière ses lisières devient alors une ombre pour une autre lumière, et ainsi quand votre liberté se désenchaîne devient elle-même les chaînes d’une plus grande liberté »
La lumière éblouit celui qui doute de ses yeux. Les hommes marchent rarement vers la lumière pour y voir plus clair, mais pour être mieux vus. La lumière peut aussi renforcer la cruauté : Pour vaincre le « toro », symbole obscur de la part de bestialité qui sommeille dans lui, le matador en habits de lumière a pour stratégie principale de le placer face à la lumière, afin de l’éblouir.
Quand l’imprudent utilise la lumière comme un spot, le sage la voit sur un grand angle.
Le premier zoome sur les événements, sur ce qu’il voit, ou décide de voir car pour qui a des yeux, il est impardonnable de n’avoir rien vu…Il voit ce qu’on lui montre, sort un élément de son contexte, le simplifie à l’extrême et entre pieds et poings liés dans le monde passif de ceux qui regardent sans voir. Le voilà prêt à suivre le guide omniprésent au travers des sollicitations permanentes.
Le voilà prêt à nier la complexité des choses, le voilà prêt à entrer dans toutes les manœuvres, dans tous les fanatismes, à se laisser aveugler par ce qu’il croit sans en prendre la mesure.
L’homme qui zoome confond l’éclairage et la lumière. Il aime les raccourcis qui permettent d’arriver plus vite au but, et devient une proie pour les populistes de tous poils qui s’enhardissent de plus en plus dans tant de pays d’Europe et utilisent la lumière pour torturer ceux qui, par leur différence, menacent leur tranquillité de consommateurs passifs et aveugles qui cherchent dans les feux de leur soumission aux guirlandes du marché la lumière qui les a fui…
Le sage regardera les choses dans leur complexité, promènera son regard sur l’ensemble sans pour autant chercher à dissocier un élément du tout. La lumière qui éclaire les choses sera douce et diffuse, discrète et bienfaisante. Le voilà prêt à comprendre le monde dans sa complexité….mais les hommes n’auront-ils pas, comme pour l’homme à tête d’homme de Prévert, le Goéland de Richard Bach ou l’enchaîné de la caverne, tendance à vouloir le tuer?
Mais qui peut voir la lumière? Elle est invisible, elle est immatérielle, elle nous montre les choses dans le temps qu’elle choisit, rythme le temps et l’heure et efface les ombres à son apogée et les étire à son déclin.
La lumière féconde l’âme, et cette lumière s’est probablement, à un moment donné, confondue dans une grande intuition avec l’intelligence humaine, c’est peut être pour cela que nous sommes tant inspirés par le siècle des lumières.