Le temps est à la pluie.

A vrai dire, il ne pleut pas encore, mais c’est tout comme. C’est juste manière de prendre un peu d’avance sur le temps, pour autant qu’on puisse le dépasser bien sur.

Les hommes sont étranges, ils courent toujours après le temps comme s’ils couraient après l’absurdité de l’être, mais même en un siècle ils auront beau faire, ils ne feront jamais mieux que le cheval de l’enfant grec qui ressemble au couchant d’automne dans son inexorable ennui et qui, quoi qu’il en soit, mettra toujours au triple galop cent ans à sortir de son ombre ; et encore cent ans à la rattraper.

Et puis le temps, ce n’est pas que ce qui passe, c’est aussi ce qu’il fait et c’est bien de ce temps là qu’il est question ici.

La pluie qui va venir, c’est un peu comme un train avant la sortie du tunnel. On sait qu’il va arriver parce que ça gronde au loin, mais on n’en sait pas plus. On se sait rien de sa couleur, de sa longueur, de la mine du conducteur ou de la dame au chapeau à larges rebords qui n’est peut être pas montée dedans.

Ce qu’on sait, c’est qu’il va pleuvoir ; il y a des parfums qui ne trompent pas et là c’est celui de la pluie qui embaume le monde. On sent la poussière qui se méfie, comme une qui attend son tour d’être emportée par le flux dans les rigoles éphémères qui mènent au ruisseau.

C’est la terre qui transpire, l’herbe qui se prépare pour la fête, les arbres qui frissonnent et déploient leurs ramures pour ne pas perdre une seule goutte du ciel qui s’assombrit.

Les oiseaux se taisent et écoutent le vent qui qui agace les girouettes, les lapins rentrent dans les clapas, la pluie peut venir.

Le pluie est là, ça y est, les premières gouttes mordent la poussière, les enfants écrasent leur nez contre les carreaux pour attendre l’arc en ciel qui viendra ou qui ne viendra pas, c’est la fugacité des choses, mais les enfants savent bien que l’enfance se joue en partie dans la saison des pluies. De la pluie nait l’ennui, et de l’ennui nait la vie, parce que l’ennui est un allié du temps qui passe et ce temps gagné avec lui fait s’épanouir les pensées.

C’est une pluie de paix, une pluie d’abondance. Une de ces pluies qui ne tombent que dans les pays riches, ceux qui vivent avec la pluie, et s’en plaignent trop souvent.

C’est une pluie musique, une pluie de bâton de pluie, paisible, régulière ; grasse et abondante. Une pluie qui pousse l’harmonie jusque dans la rondeur de ses gouttes dans les flaques qui se font et étirent à l’infini les ondes de leur chute.

La pluie qui fait riche le monde, la pluie qui pousse les gens à se parler, la pluie qui apaise, nourrit, abreuve et régénère les jardins de demain.

La pluie qui fait fleurir les papillons et ça ne mène que du bien.

L’autre fois, l’autre pluie est venue.

Il y a longtemps que l’on pressentait venir l’orage. Les hommes perdaient leurs repères, un peu comme si les éclairs à venir leur arrachaient des lambeaux d’énergie.

Les hommes sont comme les oiseaux, ils sentent venir l’orage sans pour autant le redouter, mais cette fois, on présentait qu’il allait se passer quelque chose de mauvais.

Les hommes tournaient en rond, ressassaient des rancœurs, avaient du mal à se supporter, à s’écouter, à s’entendre, à se donner du temps, à en prendre pour l’autre.

Ils parlaient en désordre pour ne rien dire, ne plus rien construire de bon.

Les hommes se donnaient des noms d’oiseaux, non pas pour s’élever comme des goélands, mais plutôt pour se rabaisser comme des oiseaux de malheur qui se partagent les restes d’un charnier improvisé.

Un matin, ou peut-être un soir, enfin en tout cas un jour, il fallait que ça pète. Trop d’électricité dans l’air, des hommes à cran, des oiseaux sans couleurs. Ça devait arriver et c’est arrivé ; à trop vouloir fuir la pluie on finit un jour ou l’autre par rencontrer la grêle.

C’est la faute aux pluies qui n’arrivent pas à venir, qui couvent comme des bêtes malfaisantes sur des œufs inféconds, des pluies qui menacent trop et font le monde irrespirable jusqu’à ce que tout craque de partout.

Des éclairs, du tonnerre, de la grêle sur les tuiles des maisons, des fenêtres qui s’ouvrent en coup de vent pour libérer des cris, des femmes et des hommes en colère, des feuilles de papiers qui volent et portent dans le vent des mots qui sifflent comme des balles perdues sur le front boueux des rancunes.

Cette fois, la pluie a duré longtemps, trop longtemps, beaucoup trop longtemps pour être une bonne pluie…

Les hommes ont besoin de pluie, ça fait chanter la terre, ça lave les choses, ça dépoussière les habitudes, ça débouche des horizons parfois trop embrumés, ça révèle aussi l’usure du temps sur les front des incertitudes, mais trop c’est trop.

Quand les gouttes sont trop grosses et durent trop longtemps, les hommes perdent patience et s’emportent, cherchent du secours auprès des passants, se demandent pourquoi il pleut ici et pas ailleurs, réclament justice et menacent de saisir les cours pour soumettre le temps au gré de leurs caprices.

C’est la mauvaise pluie et ça s’arrête là parce qu’à trop en parler on finit par en faire une règle de pluie, et ce n’est bon pour personne..

Mais les pluies, bonnes ou mauvaises, sont comme toutes choses ; elles doivent passer. Les nuages s’épuisent comme tous les réservoirs du monde et la pluie finit par s’arrêter.

Vient le temps d’après la pluie. Le temps de prendre la mesure de ses effets.

Vient aussi le temps du retour de la lumière

du retour vers la lumière qui s’unit à la pluie pour faire naître l’arc en ciel.

Peu à peu, la pluie s’éloigne, avec le temps. Les tuiles des toitures retrouvent leur éclat, les blessures ouvertes par les grêlons se referment une à une, la nature reprend ses droits, les oiseaux saluent le retour des premiers rayons, et les hommes reprennent leurs habitudes ; toutes leurs habitudes…

Vient le temps des recommencements, ce temps d’après la pluie qui ouvre les portes de la fertilité.

Vient le moment de marcher vers une autre lumière, de déplacer un peu sa chaise pour voir l’autre coté des choses, le bon coté, sans oublier que la lumière est la demi-sœur de l’ombre et que telles un damier l’une et l’autre forment un tout. C’est la nature première de la diversité.

La lumière ignore le temps, elle éclaire aussi bien le présent que le passé puisque tous deux sont des constructions humaines, mais l’homme qui s’attarde trop à éclairer le passé prend le risque de voir s’obscurcir l’avenir en attendant la pluie d’après.

La lumière qui éclaire les choses va bien au delà de ces constructions mathématiques, elle se nourrit des connaissances et ferme peu à peu les blessures du temps. Il ne s’agit pas de les oublier, mais d’en tirer les enseignements pour ne pas les répéter.

Et il n’y a qu’une bonne pluie pour nous le rappeler.

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