Marguerite

Je vous remercie mon père d’avoir bien voulu répondre à ma demande. Il est tard, je sais, et vous avez bien d’autres choses à faire.

Voila maintenant trois semaines que Jean est parti rejoindre notre seigneur, et nous sommes bien en peine les enfants et moi depuis son départ.

Il a quelque chose de mauvais qui se passe ici, quelque chose qui nous tombe dessus comme une malédiction.

 Déjà, avant qu mon pauvre mari s’en aille, la vie n’était pas facile tous les jours. Le travail ne manquait pas, mais les maître ne sont pas des plus larges avec les journaliers et ce n’est pas quelques cardis qui suffisaient à nourrir toute la famille.

Mon Jean était vaillant et ne rechignait pas à la tache, jusqu’à cette foire de Saint-Laurent où il  a pris ce mauvais mal.

Depuis, plus rien ne va. L’hiver est là et nous allons bientôt manquer de bois. Ambroise et moi, nous avons fait de notre mieux pour en rentrer ces derniers jours, mais il n’a que douze ans et à ces age là, on ne peut pas demander à un enfant  de travailler comme un adulte.

Et puis, nous n’avons pas de bien, alors il faut glaner ce que laissent les autres et ce n’est pas la meilleure marchandise, ça nous fait mal voir du monde…. Comme si nous avions fait le choix d’être nés avec si peu de biens.

Nous sommes à une semaine de Noël, et nous avons toujours été de bons chrétiens, nous n’avons jamais manqué une fête ni un jour de jeune, les enfants prient tous les soirs et n’ont jamais manqué leur catéchisme.

Depuis hier, le petit Ambroise va mal. Il a soif, la fièvre lui fait tourner la tête. Il a des boutons qui lui poussent dans le bas du ventre, comme son pauvre père. Ce matin, il a encore vomi et pourtant il a le ventre vide depuis hier.

Je suis fatiguée mon père, et j’ai peur pour mes petits.

Qu’allons nous devenir?

Catherine n’a que quatre ans, elle est fragile et s’enrhume tout le temps dans cette maison pleine de courants d’air. Le petit Jacques fait ce qu’il peut pour nous aider, mais il n’a que huit ans. Le soir, il va porter de l’eau aux brebis de notre voisin qui le paye avec de la farine ou une tranche de lard, mais les seaux sont bien lourds pour un enfant de son age.

La journée, il va garder les brebis, mais parfois elles lui échappent. Pas plus tard que la semaine dernière, il est rentré en pleurant, les brebis s’étaient mélangées et il avait peur de se faire battre.

Voila mon père, je vous ai fait mander pour bénir mes enfants et administrer mon petit Ambroise car je crains pour sa vie, et pour nous tous d’ailleurs. Il y a une malédiction sur notre maison, les voisins se tiennent loin de nous, comme si le diable habitait notre demeure.

Nous n’avons pas beaucoup de sous, mais je voudrais faire dire une messe pour mon pauvre Jean et une autre pour toute  notre famille. Jean, mon fils ainé qui habite la Canourgue vous les payera, c’est entendu depuis l’enterrement de son pauvre père.

Bénissez nous mon père, chassez le mal de notre maison et priez pour que Dieu préserve la vie de mes enfants.


Ambroise Quintin s’est éteint le 18 décembre, Marguerite et ses deux enfants Jacques et Catherine ont quitté ce monde le jour de Noël 1720  Ils ont rejoint Jean Quintin qui reposait au cimeterre de Salmon depuis le 27 novembre. (Source H.Mouysset).

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