Lettre à Monseigneur Pierre, évêque de Mende

Monseigneur

Depuis quelques semaines, une fièvre terrible, véritable fléau de dieu s’est abattue sur le village de Correjac.

Hommes, femmes, enfants, tous sont frappés par cette mystérieuse maladie qui semble devoir se répandre comme une plaie d’Egypte sur le village, et les villages environnants.

Des gens sont maintenant emportés par la maladie à La Canourgue, à Cadoule  et dans les villages voisins. Chirurgiens et médecins se démènent comme ils peuvent devant cette terrible maladie.

Tout a commencé au mois de novembre dernier. Un journalier du Correjac, pauvre comme le sont ces gens qui se louent pour parfois quelques morceaux de lard, est revenu bien mal en point de la foire de Saint-Laurent d’Olt où il est allé vendre quelques pièces de cardis et d’où il a rapporté un manteau et quelques effets pour sa femme Marguerite.

Le pauvre homme a été frappé d’un mal étrange, de fièvres, vertiges et vomissements. Il a toutefois eu la force de se rendre au chevet d’un proche à la Canourgue avant de succomber au mal le 27 novembre. J’ai moi même procédé à son inhumation au cimeterre de Salmon, et c’était pitié de voir la peine de sa veuve et de ses trois jeunes enfants abandonnés à leur sort à l’entrée de l’hiver.

Les malheureux n’ont pas eu à souffrir longtemps de l’absence de jean Quintin, ni à pleurer le petit Ambroise.  La maladie a emporté le reste de la famille le jour de Noël, et ce fut pour moi une épreuve terrible que des les assister dans leurs derniers moments, mais la ferveur de leurs prières et la sincérité de leur repentir leur ouvriront, j’en suis convaincu, les portes du paradis.

Depuis, les choses se sont aggravées, d’autres personnes sont frappées par le mal et l’on se tient à distance de quiconque a eu un jour le moindre contact avec la famille Quintin. Le mal s’étend à la Canourgue et dans les environs.

La semaine passée, le médecin mendois Blanquet s’est rendu dans le village, mais médecins et chirurgiens semblent bien démunis face à cette terrible maladie qui s’étend. Les habitants sont isolés, on ne trouve plus personne pour porter les morts en terre ou consigner les dernières volontés des malades. j’ai du moi même recueillir la semaine passée le testament d’un mourant, aucun homme de loi n’ayant voulu faire le déplacement dans le village.

J’ai eu toutes les peines du monde à rassembler quatre hommes pour porter en terre ce malheureux. Nous en arrivons à des situations intenables où des parents doivent enterrer à la hâte, et parfois de nuit, leurs propres enfants dans un coin de leur jardin, et bien loin de l’église car les habitants d’Auxillac et de Salmon se méfient de ce terrible mal qui se répand parmi les habitants de Correjac et refusent d’accueillir leurs dépouilles.

j’ai la charge de ces âmes votre excellence, et je souffre les pires malheurs de les voir succomber aux  supplices de cette terrible maladie. Je les soutiens, je prie avec eux, je leur administre les sacrements, je jeune pour que notre seigneur les délivre de ce fléau, mais tout mon dévouement ne suffit pas à soulager leurs souffrances et celles de leurs familles.

Puisse le seigneur dans sa grande miséricorde me donner la force de les assister dans ces épreuves que la crainte de la maladie détourne des enseignements de notre sainte mère l’église.

Je prie pour  votre excellence et pour sa sainteté le pape Innocent.

J’implore aussi votre pardon pour quelques écarts que la situation m’oblige à faire par rapport aux règles de notre sainte mère l’église, et demande votre secours et vos conseils pour administrer les sacrements à ces malades, procéder aux cérémonies dans les meilleures conditions possibles et leur apporter apaisement et réconfort  quand vient pour eux  le moment de se présenter devant notre seigneur.

Daigne, Votre Excellence, agréer l’expression de ma très respectueuse considération.

Votre serviteur Boissonade, curé de Salmon,


En aout 1721, Pierre de Baglion de la Salle émet un avis à l’ensemble du clergé du Gévaudan en forme de conseils pour administrer les sacrements aux malades, et autorise des sépultures en dehors des cimetières.  

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