Le facteur n’est pas passé…

Il ne passera jamais, lundi,mardi….

C’est beau l’enfance, les jeux dans la cour de l’école, les comptines qui pêle-mêlent le rêve et les réalités à la peur de ne plus recevoir les mots qui font chanter la vie.

Le facteur n’est pas passé, il est resté dans la passé, ce temps où il s’arrêtait devant toutes les portes pour porter des plis de mots plus usés que parfumés par les vertiges du voyage.

C’est vrai, il passe aujourd’hui des facteurs et des factrices, mais tout a bien changé, et peu  à peu les boites jaunes de métal qui ornaient les murs de nos villages se sont fermées sur leurs secrets.

Il y avait de mots et des écrits  postés et portées par des hommes et des femmes de lettres.
des mots d’amour
des mots avenir
des petits mots
des mots parfumés à l’encre indigo
des mots tout pleins de pleins et de déliés
des mots “dis moi
des mots serrés contre les mots des autres
ceux qui en disent trop, ceux qui n’en disent pas assez parce-qu’ils auraient trop à dire
et tout le reste ; les colis en colonie, la carte postale de pas loin pour dire qu’on y est, l’enveloppe froissée, le timbre recollé…

Et puis il y a le facteur.

Le facteur, c’est un peu comme le conducteur du train ou le gendarme, quelqu’un de tout puissant dans le monde de l’enfance, un monde où les trains s’arrêtent dans les petites gares, où les gendarmes passent dans le village de temps en temps pour prendre des nouvelles ; un monde rythmé par le passage du facteur.

Le facteur n’est pas passé?

Ils sont passés sur les chemins du souvenir, et resteront dans ma mémoire comme des sentinelles de l’enfance, des allumeurs de réverbères qui rythment la course du jour.

Il y a d’abord monsieur Seguin, que l’on appelait familièrement “Séguinou“. Un homme plein d’énergie, mû par les ressorts de la vie. Que de kilomètres engloutis tous les jours à vélo sur des routes en terre battue où des chemins de terre, et parfois quelques kilomètres de goudron. Un zébulon de la vie qui arrivait comme un tourbillon et repartait comme il était venu.

Cet homme profitait de la moindre descente pour arriver debout sur une pédale en hurlant après les chiens qui l’accompagnaient dans sa tournée. Il s’offrait parfois un petit temps de répit pour oublier les ascensions du matin lourdement chargé de sa sacoche de cuir et des deux énormes bagages accrochées à son vélo. Une lettre, un mandat où un journal plus loin, il repartait en bougonnant entouré de la meute de chiens qu’en bon équilibriste il s’employait à écarter à coups de pied et de gros mots qui faisaient se signer les grand-mères.

On dit que les vainqueurs des premiers tours de France étaient souvent des facteurs, je sais maintenant pourquoi.

Je me suis souvent demandé ce que contenaient ces énormes sacoches : des lettres, des colis, des mandats, la pension du grand-père, les remèdes de la grand-mère et les jolies pièces de cinq franc en argent qu’elles gardaient avec amour pour nos étrennes du nouvel an.

Puis il y a eu monsieur Raymond dont je ne cite que le prénom. C’était le temps des premières tournées en voiture, mais les sacoches étaient toujours de plus en plus lourdes.

Si la gentillesse et le dévouement avaient un visage, il leur prêterait le sien sans aucun doute. Ce caussenard au bon sourire a donné au métier toute sa noblesse. Pas une maison, pas un pas de porte où il n’ait été le bienvenu. Pas une famille à qui il n’ai rendu service en apportant aux moins mobiles une course, un médicament, un achat qu’ils ne pouvaient faire par eux-même faute de moyens de déplacement.

Il poussait même la gentillesse jusqu’à venir parfois après son travail aider une personne en difficulté ou l’accompagner quelque part, comme ça, tout simplement tant cet engagement lui semblait naturel.

J’ai eu l’autre jour le plaisir de lui parler de ce temps, et avec cette lumière de bonté qui a toujours éclairé son sourire, il a tout simplement dit “Je ne regrette rien“.

Vous n’avez rien à regretter Raymond, vous avez apporté tous les jours cette petite lumière d’une présence, d’un passage. Vous saviez, sentinelle d’humanité, que telle personne allait plus où moins bien et vous en parliez au voisin pour qu’il en prenne soin.

Je pense aussi à vous Monsieur Mallet et votre gentillesse sans limite, je pense à toi Dédé à Marvejols et à tes engagements militants, à toi Louisette du Villard, à vous toutes et tous qui avez sillonné par tous temps-et parfois à pied contraints pas la neige-les routes pour nous relier au monde.

Voilà, toute lettre à une fin, comme les êtres.

Certains sont partis porter des plis sur les chemins de l’au delà, d’autres vivent une retraite paisible, mais vous avez tous apporté du bonheur dans les maisons, et s’il vous arrivait parfois d’être porteurs de mauvaises nouvelles, votre compassion était sincère et apportait du réconfort.

Aujourd’hui, les boites jaunes que vous ouvriez avec la clé suspendue à votre veste bleue se ferment peu à peu, le temps n’est plus aux enveloppes ni aux timbres, les bureaux de Poste tirent leurs rideaux et les villages s’ennuient sur les écrans de la consommation en attendant les colis des plates-formes qui déménagent le territoire sur les terrains de leurs appétits.

Pendant des années, vous avez porté des mots fleuris d’amour pliés dans vos sacoches, donné du réconfort, fait du lien dans nos village, meublé des solitudes par l’éclat d’un bonjour, tout simplement, sans aucune consigne, juste par amour d’un métier qui vous tenait à cœur.

Vous étiez plus que des facteurs, vous étiez des passeurs d’humanité, et dans notre belle langue gévaudanaise, le facteur s’appelle “Lou Portur”.

 

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