La maison des vivants

Les hébreux appellent le petit enclos qui pour nous est un  cimetière, “la maison des vivants“.

Elles sont venues, ils sont tous là. La mort n’est rien, juste un passage, un “à suivre“, mais plus tard, quand le temps viendra, le temps de dire aux enfants qu’on ne peut pas les prendre, que là où on va, c’est trop loin, que c’est des voyages de grandes personnes, et puis qu’il n’y a pas de place pour tout le monde, on partira.

C’est beau l’enfance qui se laisse rassurer, l’enfance qui croit, qui croit  et qui attend de temps en temps celles et ceux qui ne reviennent pas pour de vrai.

Les grandes personnes aiment célébrer les temps, le temps de naître, le temps de grandir, le temps d’aimer et de s’aimer…Moments éphémères sur l’échelle de la vie, temps gagné sur le mur des souvenirs et perdu sur l’échelle de l’avenir.

Un jour de l’an, sous la pluie, vient le jour des morts ; le jour où les vivants font procession pour aller visiter leur maison à venir.

Le jour où tout se mêle et s’emmêle en pleurs sous des tapis de fleurs. Les fleurs, c’est beau comme les pleurs puisque ça dure pour un temps , le temps des fleurs, des lendemains au gout de miel.

On change d’heure juste pour rattraper le temps. Le temps gagné, le temps passé, le temps perdu. On court pour attraper les minutes et voir s’envoler les secondes.

Tout ça c’est du passé, mais aujourd’hui, vous êtes là.

C’est joli le vous, pas d’hommes, pas de femmes, pas d’enfants, de jeunes ni de vieilles, ça mêle les gens dans l’embrouille des mots.

Vous êtes la madame si gentille avec toujours un joli mot, tu es là le chasseur qui ne manquait jamais son coup, tu es là toi l’abbé qui revenait des camps, et toi le chantre avec ta voix qui rocaillait comme les pierres du purgatoire. Toi la femme qui apaisais, toi le laitier aux bons mots, toi le maçon qui refaisait les croix, toi madame que je voyais passer comme passent les gens, toi qui étais toujours là quand arrivait le fourgon du boucher,  toi la jeune femme qui n’a pas eu le temps, toi l’enfant que tes parents n’ont jamais vu grandir, toi qui rêvais d’aller au Mont saint-Michel, toi qui n’a jamais vu la mer, toi et ta jambe de bois, et puis vous tous qui n’êtes jamais revenus du front de l’Est.

Tu es là toi, la vieilles dame qui avait peur de ne pas pouvoir entendre les trompettes du jugement, toi le païen qui blasphémait comme d’autres se confessent, toi l’enfant de chœur, et toi l’enfant de cœur parti au plus tendre de l’enfance.

Tu es là, toi la mère, et toi le copain parti trop tôt et que ta femme a rejoint en tête à tête, tête contre tête pour regarder le même ciel. Tu es là toi l’enfant qui nous a quittés quand nous n’étions que des enfants. Toi mère et tante, toi femme et sœur, toi fille perdue dans les couloirs du temps.

Que de monde dans cette maison, que de voix qui se mêlent, de regards bienveillants, de sourires, de parfums et d’éclats.

Merci pour ces moments passés près de vous, je vous revois, j’entends vos voix, vous êtes là, bien présentes, bien présents ; c’est une belle journée.

 

 

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