La femme de bois

Tu connais l’histoire de la femme de Loth, elle s’est retournée et a été changée en statue de pierre. Peut-être pour dire au monde qu’à trop vouloir regarder le passé, on risque de ne plus avancer.

C’est ce qu’ils disent, mais il faut bien qu’ils disent quelque chose.

Il y a aussi cette femme de bois. Là ce n’est pas elle qui s’est retournée, mais le berger, enfin, celui qui l’avait faite. Tout ça pour dire qu’il y a quelque chose d’autre à voir que vouloir voir  le droit devant.

C’est une affaire de femmes, et d’ailleurs, si tu regardes bien, dès qu’on parle de lune, tout est affaire de femmes.

Les femmes sont femmes comme la lune est lune, l’une et l’autre ont une part de Séléné, de bons et de mauvais moments ;  et puis il y a ces femmes qui s’ébattent dans les sabbats les nuits de pleine lune, mais c’est une autre histoire.

T’as qu’à voir Verlaine, “de chaque branche part une voix“.  Bon d’accord, c’est l’heure exquise. l’heure, la branche, la voix, la lune ; de la douceur et rien d’autre. Tout est affaire de décor.

Mais là n’est pas la question.

C’est ce berger là, loin la bas sur les causses. Le jour, les brebis, le chien qui les remet en place, le beau temps, le vent. Tout ça c’est du temps qui passe.

Mais la nuit?

La nuit, c’est l’ennui ; un besoin de femme qui monte tous les jours les marches de sa solitude, alors il en peut plus de la vouloir.

Il y a ce gros tilleul la bas, son tronc lisse comme la peau d’une fille de lune, son tronc qu’il s’est lassé d’enlacer. Ce tronc qui cache des formes à venir ; celle de la femme de bois.

Alors il sculpte, polit, caresse, fait petit à petit apparaitre la bergère à la peau blanche de lune.

Il la fait si belle qu’une nuit il entend sa voix ” Je suis nue berger, tournes toi, ne me regardes pas m’habiller“.

Quelle drôle d’idée, pourquoi se cacher ? il l’a sculptée nue, caressé toutes ses formes, effleuré son intimité….Il s’est retourné ; et la femme de bois s’est enfuie.

On raconte que depuis, le berger court après la femme de bois sans pouvoir jamais l’atteindre.

On dit chez les bergers qu’il mettra cent ans à poursuivre son ombre, et autant de temps à la rattraper.

 

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