Le silence
Posted on 24 février 2024 in Dormir debout
Ah le silence, après ce rappel de son omniprésence face aux violences faites aux plus fragiles d’entre nous, je devrais me réfugier auprès de lui, mais je ne peux pas m’empêcher de sortir cet élément du monde des symboles pour le suivre dans les pas feutrés de quelques philosophes et poètes qui l’ont évoqué ou se sont purifiés aux sources de ses eaux.
Il y a le silence que l’on fait en soi pour réfléchir, avant toute parole, le silence que l’on fait pour écrire, le silence support de l’écoute qui fait exister la parole de l’autre.
Il y a le silence intérieur de la médiation, le silence mystique, mais aussi le silence de Dieu, principal argument contre lui, d’ailleurs, qui nous laisse sans explications dans la souffrance et l’abandon, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour celui qui est Logos, c’est-à-dire « le verbe ».
Mais peut-être est-ce ce silence qui permet la création, dit le prophète Daniel, la création serait le silence même, ou le retrait du verbe créateur.
On peut encore ajouter à notre inventaire le silence du non-dit, le caché, le tu, le silence imposé, le silence des opinions dans les dictatures, le silence de ceux qui sont sans voix, le silence du résistant, le silence pesant des secrets de famille, celui plus heureux de la complicité, l‘absence d’écrit, le silence de la peur, l’omerta qui règne dans le monde des images et du cinéma.
Le silence, c’est un message de l’ombre, une question posée à la question, une improbable promenade dans ce monde où l’on entend errer l’âme du bruit.
Il y a le silence de la nuit…C’est fou ce que la nuit fait du bruit, c’est un peu comme l’univers. La nuit est une cacophonie, un capharnaüm de bruits qui viennent de nulle part. Tout fait du bruit pour donner corps à ce silence, les animaux, les toits des maisons qui dorment, les bois, les sources, les feuilles, les insectes, le givre, le brouillard, la forêt, les arbres qui poussent…
Le silence, ce mystérieux complice du bruit qui nous nourrit de son discours qui ne consiste pas à fermer la bouche ; au contraire. Il nous libère de l’asservissement des mots en nous laissant le conquérir, et comme le disait Musset, notre bouche garde le silence pour écouteur parler nos cœurs…
Le silence, c’est la dernière richesse des malheureux, le défi à la vie de ceux qui souffrent avec lui. Rappelons-nous de la mort du Loup d’Alfred de Vigny. « A voir ce que l’on fut sur terre, et ce qu’on laisse, seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse… ».
Le silence, c’est le dernier acte d’amour de la veuve du pêcheur, qui, sentant les ailes de mort se déployer sur elle se déshabille sans bruit pour ne pas réveiller ses deux petits enfant endormis et les protéger du froid.
« C’est seulement lorsque vous boirez à la rivière du silence que vous chanterez vraiment » dit le prophète.
Le silence, c’est aussi aussi ce prélude à l’amour que Victor Hugo suggère plus qu’il n’évoque dans Booz endormi.
Oui, si le silence était un ange, l’écoute et la parole seraient ses deux ailes.
Le silence, c’est aussi le moyen d’écouter le le cœur de l’autre quand il ne dit rien, car en amitié comme en amour, toutes les pensées, tous les désirs, toutes les attentes naissent et sont partagés sans mots, dans une joie muette.
Alors, le silence c’est cet éclair de douceur dans le regard de deux êtres qui n’ont pas besoin de mots pour dessiner sur la toile du désir l’esquisse de leurs étreintes à venir.