L’esprit frappeur

miroirIl est huit heures du matin en ce dimanche de février. Le jour s ‘installe doucement   dans la maisonnette du Coubis.

Il faut dire que la fenêtre est au Nord et que le jour tarde à apparaître car la ruelle est assombrie par le mur qui lui fait face.

Un blaireau à la main et la boite à savon dans l’autre, Louis s’approche de la fenêtre pour se raser. C’est dimanche, le jour de la messe et celui des copains au bistrot après la messe. Le jour du repos bien mérité après une semaine harassante chez le patron maçon.

Le jour tarde à éclore, Louis se retourne pour taquiner sa mère en lui annonçant  qu’il ne sait pas encore s’il ira à la messe ou directement au bistrot, ça dépendra de ses rencontres….

Le papette éclate de rire en bon mécréant tandis que sa mère lui prédit un séjour enflammé au plus profond de l’enfer, là ou seront les pleurs et les grincements de dents. Le papette rit de plus belle en précisant que “Gripet a autre chose à faire qu’à piquer les fesses du monde.»

Il faut pas rire avec ces choses là…” s’emporte la mère “Tu vois bien l’autre la bas au monument qui arrête pas de blasphémer et qui fait des grimaces au curé quand il passe en procession. Le diable vient le battre toutes les nuits, il le jette contre les murs de sa maison …. le pauvre homme hurle comme un désespéré et s’arrache la peau jusqu’au sang.»

Louis connait l’histoire, comme toutes les histoires de diables et de démons, de serpents volants et de francs-maçons qui disparaissent quand sonnent les douze coups de minuit.

barbeLe jour est maintenant levé. Lentement, avec des gestes de barbier, Louis badigeonne son visage de savon et commence à se raser.

Un moment de douceur, un des ces rares moments où l’homme ne pense plus  à rien si ce n’est à son bien être. Le fil du rasoir dégage doucement son visage et soudain un cri ; le rasoir l’a mordu.

Louis se retourne vers sa mère ; le menton taché de sang “vous avez entendu? On frappe derrière le miroir….” Le papette arrête de mâcher son quignon de pain, la mère se signe et suppliant “Mon dieu, mon dieu!»

Des coups sourds et répétés se diffusent dans la muraille, derrière le miroir, ou plutôt en face. Boum boum boum, une fois, deux fois et puis plus rien. “Et voila, avec toutes tes bêtises, tu as mis le bon dieu en colère….a la sortie de la messe, tu diras au curé de venir bénir la maison pour faire partir les mauvais esprits»

Le curé est venu, a béni la maison, mais l’esprit frappeur a continué à venir régulièrement troubler la quiétude de la famille. Le curé est revenu, accompagné de deux confrères. Ils en ont déduit que c’étaient les âmes du purgatoires, ces vagabonds des limbes, qui venaient réclamer des messes et des prières.

On a mis du sel dans les poches, des rameaux bénis aux fenêtres, aspergé les murs d’eau de Lourdes, fait bruler de l’encens et de la sauge. On a donné des pommes de terre et fait du bois pour le curé…

On a dit la prière qui chasse les mauvais esprits : “Je te chasse, esprit du Mal, et je te somme par † le Dieu vrai, † par le Dieu vivant, † par le Dieu Saint, de sortir et de t’éloigner de ce lieu pour ne plus jamais y revenir. Je te l’ordonne au nom de Celui qui t’a vaincu et qui a triomphé de toi sur le gibet de la Croix et dont la puissance t’a lié à jamais. Je t’ordonne de ne plus épouvanter jamais ceux qui habitent en cette demeure, au nom de Dieu † le Père, † le Fils, † et le Saint Esprit, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles, ainsi soit-il

purgatoireNous vous en supplions, Seigneur, visitez cette demeure, et chassez-en bien loin toute embûche de l’ennemi. Que vos saints anges y habitent, nous conservant dans la paix, et que votre bénédiction soit toujours avec nous. Ainsi soit-il.»

Louis a travaillé dur pour payer quelques messes, la mère a vendues une à une les poules  de la basse cour, le papette a bu moins de vin et de sacrifices en sacrifices, les coups ont un jour mystérieusement cessé.

On ne saura jamais si les âmes du purgatoire ont eu leur compte de messes, mais on sait que la famille déjà très pauvre a été durement éprouvée par cette aventure.

Autrefois, dans les campagnes, des personnes malveillantes allaient “gratter la tuile» contre les murs des maisons pour effrayer les habitants. On grattait un angle de mur avec une grosse pierre ou on frappait le pignon de la maison et le bruit se répandait en s’amplifiant dans la voute de calcaire.

Terrorisés par ce phénomène surnaturel, et convaincus pas les dires des trois curés, les habitants de la maison n’ont jamais pris le risque de sortir pour voir d’où pouvaient bien venir ces bruits.

 

 

 

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